P R E M I È R E P A R T I E
 

IN PRINCIPIO ERAT SIMULACRUM

Pierre Klossowski : Digression à partir d'un portrait apocryphe


 
 

PREMIER CHAPITRE retour

PROSTITUTION, SIMULACRE ET STÉRÉOTYPE


 
 



Tout l'oeuvre écrit ou peint de Pierre Klossowski, tout ce "théâtre de société", est marqué d'un "signe unique" : Roberte(1), lui-même marqué d'un "modèle unique" : Denise, (tellement unique et essentielle à l'oeuvre que son nom ouvre, avant même celui de ses "créateurs", le générique de Roberte interdite, la "variation filmique" de l'oeuvre klossowskien, tournée par Pierre Zucca(2)). Il est marqué, enfin, d'un "motif unique" : le sexuel scabreux.
 

Bien sûr la présence d'un tel motif n'a rien d'innocent, pas plus que n'est innocent, de la part du "critique", l'intérêt porté à cette oeuvre, motivé pour partie par la constance de ce motif. Et, à qui serait dupe de la stricte portée "archiviste" d'un tel projet, nous proposerons cette citation de Klossowski lui-même :

"Aussi-bien est-ce surestimer l'influence de la lecture que de croire, comme le fait la censure, que tel livre serait "corrupteur" ; mais c'est sous-estimer un auteur que de le supposer pur de semblable intention "(3).

Mais, justement, le ressentiment ("corrupteur" entre autres) d'un tel projet, résulte aussi d'une conscience de sa corruption éventuelle, (et éventuellement complaisamment corruptrice), comme intrinsèque à sa nécessité. Le motif sexuel est malsain chez Klossowski, et son étude par le critique est malsaine, parce que le motif est "malsain" ! En "vertu" de quoi, l'intérêt de l'étude d'un tel motif consistera à montrer, à partir de quelques oeuvres de Klossowski lui-même, que Klossowski comme émetteur, et Denise comme modèle et/ou actrice, et le critique comme récepteur, en sont conscients, en cherchant l'origine de ce choix dans la fonction même qu'occupe ce motif dans les rapports entre le mythe et la vie sociale d'une part, et en montrant que ces rapports se structurent par l'acte d'Art, d'autre part.
 

Sur le premier point, Klossowski apporte des réponses claires dans un ouvrage publié tardivement, Origines cultuelles et mythiques d'un certain comportement des Dames romaines:
 

"Notre propos est de fixer ici quelques aspects du monde de la débauche de Rome antique et de ses rapports avec le monde cultuel, les solennités religieuses et les jeux."(4)
 

Il en ressort que le motif sexuel scabreux est un simulacre fédérateur qui assure des "échanges" logiquement "inéchangeables" à quelque niveau qu'on les considère, (mythique, social, culturel; entre divinités, entre dieux et humains, entre l'État et le peuple, entre humains, entre chacun et ses phantasmes), mais, plus spécifiquement, entre invisible et visible, et ce pour deux raisons contradictoires : l'acte sexuel est en soi un acte de procréation, limité et désespérément répétitif et stéréotypé ; mais par sa portée "cosmique" il est en même temps porteur de vertige absolu.

C'est donc l'acte "visible", (producteur et limité) d'une dimension invisible (stérile et cosmique)(5)

. C'est donc l'acte qui permet de rêver, de "ressentir" la dimension absolue de la divinité, originellement simple "principe asexué". Ce n'est qu'en la représentant par des "simulacres", (statues "sexuées" "en acte" sexuel), qu'on a accès à leur dimension cosmique, "représentable"(6). Par des dérives "spectaculaires", on passe de ce simulacre à un autre, réalisé dans la double posture de l'acteur et de la prostituée, chez l'hétaïre(7).

Si l'on pense qu'il ne s'agit que de "métaphore" et que la thématisation malsaine de ces concepts n'est que "complaisante" c'est qu'on n'a pas saisi toute la force du terme "simulacre", ni celle du concept "d'acte d'art", forces exprimées dans une formule comme :
 

"l'épiderme de Roberte ne pourrait seulement pas frissonner sans ma syntaxe qui n'en est que l'envers"

(LH. avertissement, p.9),


 


qui établit combien le simulacre sexuel est simulacre textuel et combien la force de l'acte d'art est aussi porteuse de vertige que celle de l'acte sexuel, à condition que cet acte "déborde" lui-aussi la déréliction maladive de la répétition limitée dont il est aussi porteur que l'autre :
 

"À quoi donc répond notre maladie spécifique qui est de reproduire le fait d'exister, sinon à la jouissance de faire participer autrui à cette production ? Jouissance qui n'est satisfaite vraiment que si par cette contrainte que nous exerçons sur autrui nous l'assimilons à nous-même, donc à ce que nous avons d'inéchangeable : ici la communication ne s'exerce jamais autrement que pour "donner le change". C'est la loi de la vie en commun d'autant plus sensible que nous la subissons dans une méditation solitaire comme toute pré-méditation. Mais si, comme je l'ai dit, j'ai recours à l'écriture, tant s'en faut que ce moyen me procure la volupté plus grande à voir d'aventure quelqu'un partager mes goûts les plus secrets. Mettons que le livre sous ce rapport, ne soit jamais qu'un "noble" succédané ; tout livre de ce genre équivaudra à une société secrète ; que si je puis circonvenir mes semblables par quelque autre voie qui surprenne leur sensibilité, je n'hésiterais point à m'y livrer avec autant de circonspection pour réussir semblable "coup de filet" que j'en use le plus souvent de façon toute aléatoire, en me fiant à un assemblage de mots." (LB.40-41).
 

Mais, la tâche n'est pas simple et, de même que la jouissance sexuelle est condamnée à être "finie", alors même qu'elle se rêve en vertige absolu, l'acte d'art semble aussi désespérément condamné à l'aporie:
 

"Sous d'autres conditions ce que je tenais à dire ou à montrer n'eût pas pris nécessairement la forme de l'écrit ou du dessin: je cherchais seulement à provoquer des circonstances où mes émotions seraient partagées par un nouvel entourage. Si peu que cela!... Confiant dans les moyens d'une rhétorique conventionnelle, les estimant les mieux appropriés à donner corps à cela même que ces conventions excluent comme de l'insolite, je ne faisais que rendre plus obscur ce que je pensais dire de la façon la plus claire, quitte à donner à mon propos une apparence de futilité" (LB.37-38)
 

Il semble alors que ce qui ruine ce "simulacre-là" comme l'autre c'est la conscience d'être récupérable en objet conventionnel, donc en "stéréotype". Cette aporie a un nom pour Klossowski c'est l'inéchangeable autour de quoi "gravite" toute son oeuvre. Il la définit de la sorte :
 

"À quoi répond cette préoccupation de la réceptivité du lecteur ? Mais n'importe quel "créateur" est soucieux de se faire comprendre. Toutefois il s'en remet ici à des normes convenues de penser, de juger et de sentir. Mais justement ce qu'il divulgue a son centre de gravité dans l'inéchangeable, qui est "sans prix" qui n'a pas "cours", donc pour le redire une fois de plus, dans l'idiosyncratique autorité de son expérience. Inéchangeable, elle ne requiert pas la divulgation à titre d'échange possible, mais une équivalence pour l'équilibre de l'artiste, soit dans l'art, le simulacre : lequel dissimule le secret de l'inéchangeable en simulant le sens commun pour s'assimiler autrui. Complice, de ce point de vue, le lecteur ne saurait l'être qu'en tant qu'initié à un secret par affinité. [...] Une rupture de vous-même avec vous-même eut pour effet de vous libérer de la contrainte de l'inéchangeable. L'inéchangeable est le souvenir obscur d'un événement. L'événement qui se produit en tel lieu, à tel moment, se confond avec le lieu. Révolu, il ne se répète que sous la forme du lieu qui l'évoque. Mais c'est là son génie dont la physionomie est celle de l'inéchangeable" (LB.44-45)
 

Ce constat, vertigineux, ouvre des champs d'investigations énormes dans l'oeuvre de Klossowski, d'une part, et dans la réflexion sur l'art en général, puisqu'il présuppose que le "simulacre" ne s'exprime que par le biais du "stéréotype" ! On est également frappé de voir à quel point les quelques éléments relevés interrogent, par un vocabulaire quasi-commun qui recouvre les mêmes concepts, des lieux que questionne la sémiostylistique actantielle(8), dont nous avons adopté d'emblée la démarche. Ainsi, le concept d'acte d'art qui nous semble caractériser la démarche de Klossowski est emprunté à cette théorie, et le concept de "corps textuel" y a la même force que l'expression "donner corps" (LB.38), et désigne le même "simulacre".

En poursuivant ce travail, nous aurons donc à nous interroger sur la nature du vertige d'art et ses questions annexes : le niveau actantiel "émetteur-récepteur" (LB.44) ; la coexistence de la jouissance et de la déréliction ; la trans-sémiotique des arts, évoquée dans la citation LB.37, dont le lieu commun pourrait être le théâtre ; la question de l'interprète ; voire aussi la question d'un art "après-Auschwitz" ; tout cela en relation avec la thématisation dans l'oeuvre de Klossowski du "sexuel scabreux", dont on a vu, rapidement certes, qu'il "fondait" la notion même d'inéchangeable, en tentant de la "con-fondre" dans le simulacre.
 

Mais toutes ces perspectives ne seront examinables qu'après avoir éclairé la valeur que Klossowski accorde, de façon artistique et méta-artistique, aux concepts de simulacre et de stéréotype, en privilégiant, la place accordée à la prostituée dans cette dichotomie complexe, (à la fois en raison de la constance du motif sexuel scabreux, et parce que cette notion est fondamentale en tant que "simulacre" dans la théorie sémiostylistique actantielle). En fait les processus d'échanges entre ces trois concepts constituent, peut-être, le "module" fondamental autour duquel construire, à partir de la théorie sémiostylistique actantielle qu'il "anime" également, une étude de l'inéchangeable chez Klossowski, laquelle passe obligatoirement par la "thématisation du sexuel scabreux".
 


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Le concept de simulacre, quel que soit le sens que l'on donne au mot, dans un premier temps, contient la notion de "transition" à cause de son radical latin qui le raccorde à similis, simul, simulo(9). Le simulacre c'est bien "ce qui est comme" et "ce qui est commun".

En étant "comme", il permet de faire passer un phénomène inconnu, indéfinissable en soi, au stade du connu, au moins par "figuration". Cette "figuration" se détermine "à partir de" ou "autour" d'un objet commun, ce qui ajoute à la notion un caractère de réversibilité, (caractère auquel Klossowski sera particulièrement vigilant(10)). En effet, le simulacre se détermine à partir d'un objet connu quand on dit : "c'est un simulacre de". En revanche, il se détermine autour d'un objet connu quand on fabrique un simulacre d'un objet "inconnu", une statue (qui sera connue et commune) d'un dieu (par définition invisible et hors de ce monde), par exemple.
 

Seul ce sens de simulacre est véritablement satisfaisant car il possède la double caractérisation d'être déterminé, à la fois, à partir de modèles communs et antinomiques : ("l'anthropée" comme statut de la statue, et "la mythologie" comme constituant), et autour d'un objet commun : (la statue réalisée), comme "figure", "semblance" de la divinité. On pourrait dire, en se référant aux "quatre fonctifs de Hjelmslev(11)" : l'anthropée comme forme du contenu et la mythologie comme substance du contenu, et la statue-divinité en soi comme forme et substance de l'expression : en effet la statue "s'exprime à partir d'une forme humaine et d'un contenu mythologique", et elle "représente, sous la "forme humaine" la "substance d'un dieu".
 

Elle sera donc, pour toute une "imagination populaire", la divinité, et elle aura été créée à partir de deux réalités distinctes (l'une "visible" : forme humaine, et l'autre "invisible" : mythologie, entre lesquelles elle assurera l'échange concrètement inéchangeable).
 

Cet échange réussi par le simulacre mis en commun deviendra un "stéréotype", dont le caractère complexe dépasse les connotations péjoratives attachées à ce mot. C'est ce caractère "transitoire" et "commun" du simulacre qui en fait un concept indissociable pour Klossowski, historiquement, épistémologiquement, et herméneutiquement, des concepts de prostitution, sacrée à l'origine, fait attesté jusque dans la Bible, (Rois, 14 & 23(12)), (tout aussi transitoire et commun qui peut aussi s'analyser comme un simulacre à tous les sens du mot.) et de stéréotype (évidemment commun, mais aussi transitoire)
 


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Le sens moderne et banal de simulacre, (action de feindre l'exécution de quelque chose), ne donne qu'une idée fausse de la valeur de ce terme chez Klossowski. Ce sens actuel n'est que le dérivé triplement métonymique du sens initial que, féru de culture latine, et latiniste reconnu, Klossowski réactualise exactement, même quand il emploie le terme "métaphoriquement" aussi.
 

Le mot français vient du latin simulacrum qui désigne : "la représentation d'une divinité païenne". C'est exactement en ce sens que Klossowski l'emploie ici, dans un contexte romain :
 

"à mesure qu'elle [la religion romaine] importait et adoptait chez elle le culte des peuples voisins et surtout ceux des divinités helléniques, les simulacres, les statues firent leur apparition," (OCMDR.55).
 

C'est avec cette valeur que le mot apparaît en français au XIIème siècle, (Rois, 2, 23, 15) (13)
 

"Et tut fist depescier e esmier cel vilain simulacre ; kar ço ert ydle de pecchié e de lecherie".

Mais dès Lucrèce, Ovide et Virgile le mot simulacrum, par une première dérivation métonymique, peut signifier spectre, fantôme. Employé dans ce sens, en français classique, il est souvent précédé de l'adjectif vain, (qui atteste donc de la valeur forte du sens initial). On peut penser que la tradition religieuse, et en particulier l'opinion de Saint Augustin sur les simulacres, telle que la rapporte Klossowski justement, y est pour quelque chose :
 

"Quand saint Augustin parle de la "malfaisance" des statues, il vise précisément cette vision spatiale des figures divines sous leur aspect anthropomorphe." (OCMDR.56)
 

"Et faisant état de la tradition selon laquelle les dieux auraient eux-mêmes institué les jeux scéniques il en vient à établir leur nature contradictoire : s'ils ont exigé sous les pires menaces la célébration spectaculaire de leurs turpitudes c'est qu'ils prennent plaisir à se faire adorer dans leur comportement le plus honteux ; plus on les calomnie, plus on leur impute de crimes vrais ou faux, plus ils s'en délectent. Mais pareilles divinités par elle-mêmes sacrilèges ne sont pour le théologien rationnel qu'une absurdité perverse : [...] C'est ici le monde de l'inconsistance même, parvenue à sa toute-puissance suggestive ; ces démons n'ont des dieux que les masques ; " (OCMDR.69)
 

Ces deux citations, à rapprocher de l'adjectif "vilain" qui caractérise les simulacres pour le traducteur de la Bible, explicitent bien le caractère de vanité de ces "statues" pour les esprits rationnels ou chrétiens, qui ne leur accordent, contrairement à Klossowski, aucun caractère "magique". Sans doute, faut-il, pour accéder totalement à la "force" du concept de simulacre, éprouver la corrélation sémiotique de la forme et du contenu, à partir de la notion Nietzschéenne de "ressentiment" qui n'est pas incompatible avec une attitude "cohérente", comme celle de Hjelmslev déjà exposée, ou celle de Brook, ou Régy qui, pour le théâtre, (autre grand "simulacre"), parlent de "l'art de rendre visible, l'invisible"...(14)
 

Une fois "stéréotypée" cette valeur fallacieuse du simulacre, la notation adjectivale disparaît et par une nouvelle métonymie, qui estompe la connotation péjorative pour ne conserver que la valeur de représentation on en vient à la valeur : "image". Mais, puisque ce sens est aussi attesté en latin, dès Cicéron, la dérivation peut n'être que métaphorique : on passerait de "l'image réelle", spatialisée par la statue, à "l'image mentale" d'un objet en évoquant un autre.
 

Quoi qu'il en soit, on retrouve bien ici l'une des valeurs de la statue : le simulacre comme figuration restituée d'un objet réel, mais, contrairement au simulacre originel ou klossowskien, il n'en provoque pas les "ressentiments". Ou plutôt, s'il y a ressentiment, c'est simplement celui de ressemblance, d'analogie, de "valant pour", mais il n'y a pas "con-fusion" de ressentiments, (à tous les sens du mot confusion, y compris le sens "moral" attaché au "ressentiment" d'incongruité apparente tant la distance entre les simulacres réciproques peut être grande et déconcerter celui qui éprouve le vertige de son propre ressentiment). Ici, pas de "confusion", chacun sait que ce n'est qu'une image, au contraire du premier simulacre qui est à la fois image de la divinité et producteur du même ressentiment qu'elle.
 

Dès lors, ce sens, quelle que soit sa constitution, peut encore s'affadir métonymiquement avec recharge de la valeur péjorative : le simulacre apparaît alors, dans le sens moderne quotidien, comme il apparaît quelquefois chez Cicéron, comme dénué de toute "vertu commune" avec un objet dont il n'a que l'apparence : c'est une image dévaluée, un "ersatz".
 

Cependant, par une autre recharge métonymique, que Klossowski reconnaît parce qu'elle peut se greffer à tous les états précédemment décrits, donc au sens initial, le mot désigne, non seulement l'image substituée au réel, mais aussi l'action même d'imitation, de simulation : "un simulacre de combat", par exemple pour le sens dévalué ou, pour le sens "plein" :
 

"[...] je retiens simplement la mise en valeur scénique de la statue. [...]Le besoin de représenter les figures divines s'exprime plus particulièrement dans le rite des lectisternes - (de lectus : lit, et sternere, s'allonger, se coucher, comme c'était l'usage pour les repas). Tite-Live raconte l'inauguration du premier lectisterne, repas offert aux douze dieux, où les simulacres, formant six couples de dieux et de déesses couchés sur leurs pulvinaria (coussins) furent exposés pendant huit jours aux regards du peuple. Cette coutume, qui avait lieu aussi dans les cérémonies funéraires, devint l'une des plus grandes solennités culturelles ; les simulacres des dieux y étaient parés, peints et fardés. À quel point cela allait plus tard passer même sur un plan théâtral du divertissement, Suétone nous l'apprend dans sa Vie d'Auguste, [...]"(OCMDR.56-58)

Si l'on replace ces "définitions" dans le cadre des concepts hjelmsléviens, on peut dire que seul le sens latin initial, (avec son extension métonymique à l'action "théâtrale"), renvoie aux quatre composantes. En effet, dans les sens usuels, usés et abusifs du terme, le simulacre ne serait pas "à la fois signe d'une substance du contenu et d'une substance de l'expression"(15) ; il ne serait que le signe d'une "analogie" avec une substance de contenu extérieure à sa propre substance de contenu même s'il possédait bien, (par rapport à l'objet réciproque, s'entend), une forme d'expression et de contenu et une substance d'expression comparables. Une telle combinaison est sémiologiquement "sans valeur" : le ressentiment ne peut s'opérer ; un simulacre aussi "dévalué" est effectivement "vain", et, comme le dit saint Augustin :
 

"C'est ici le monde de l'inconsistance même"(OCMDR.69)
 

Mais, "l'inconsistance même" peut avoir une substance et un simulacre en art :
 

"Ce n'est pas même la communication d'une émotion qui importe, mais la mise en mouvement qu'elle provoque à partir de quelque chose d'inéchangeable autour de quoi vient à tourner la vie d'un groupe d'individu, pour autant que cet inéchangeable s'est prononcé à travers un simulacre...' (LB.42-43)
 

"[...] n'importe quel "créateur" est soucieux de se faire comprendre. Toutefois il s'en remet ici à des normes convenues de penser, de juger et de sentir. Mais justement ce qu'il divulgue a son centre de gravité dans l'inéchangeable, qui est "sans prix" qui n'a pas "cours", donc pour le redire une fois de plus, dans l'idiosyncratique autorité de son expérience. Inéchangeable, elle ne requiert pas la divulgation à titre d'échange possible, mais une équivalence pour l'équilibre de l'artiste, soit dans l'art, le simulacre : lequel dissimule le secret de l'inéchangeable en simulant le sens commun pour s'assimiler autrui. Complice, de ce point de vue, le lecteur ne saurait l'être qu'en tant qu'initié à un secret par affinité. [...] Une rupture de vous-même avec vous-même eut pour effet de vous libérer de la contrainte de l'inéchangeable. L'inéchangeable est le souvenir obscur d'un événement. L'événement qui se produit en tel lieu, à tel moment, se confond avec le lieu. Révolu, il ne se répète que sous la forme du lieu qui l'évoque. Mais c'est là son génie dont la physionomie est celle de l'inéchangeable" (LB.44-45)(16)
 

De ces définitions de "l'inéchangeable" et du rôle du simulacre retenons pour l'instant la notion de "mise en mouvement", et celle de "simuler le sens commun pour s'assimiler autrui". Ces notions qui relèvent de "l'intempestif(17)" pour l'une et du "ressentiment" pour l'autre, sont celles qui caractérisent la frontière fragile entre le simulacre et le stéréotype : la "mise en mouvement", forcément "intempestive" empêche la fixation absolue, laisse la confusion en train de se faire. De même, la "simulation du sens commun" n'est pas le sens commun : ce n'est que "l'emprunt" au "commun", emprunt comparable à celui que l'on fait de la "prostituée" ou de "l'acteur" pour s'assimiler autrui, emprunt dont le "sens" est, là aussi, "réversible". C'est dans la frange impalpable, qui sépare l'emprunt au stéréotype du retour vers lui, que réside toute la force du simulacre.

Quand cette frange, celle où se lit la distance-contact entre la substance du contenu et les trois autres "fonctifs", n'est pas ressentie, le simulacre ne surgit pas, intempestif, et la "prostituée" qui n'est plus "sacrée" n'est qu'une "esclave industrielle". Or Klossowski définit précisément le stéréotype de la sorte :
 

"Qu'est-ce que le stéréotype ? C'est ce que l'esprit industrialiste suggère puis impose à la réceptivité des individus comme l'objet le plus satisfaisant. Pour cela cette réceptivité doit être prévenue dans les initiatives de la sensibilité rendue perplexe, d'abord par l'impossibilité de reconnaître ce qu'elle recherche, et, si jamais elle le trouve, par l'impossibilité de se le procurer immédiatement. À la faveur de ces deux impossibilités, le stéréotype de l'objet le plus satisfaisant revient à supprimer les conditions de la rêverie et par une contrefaçon du rêve, à réduire dans de vastes couches sociales les phantasmes individuels. Mais la réceptivité individuelle par elle-même n'est pas encore au niveau de la demande d'un produit, soit au niveau de la consommation : elle ne s'y prête que lorsqu'un stéréotype mis en circulation lui fait prendre conscience de son insatisfaction propre, lequel stéréotype à la fois usurpe la fonction de la représentation et lui épargne les frais "pathologiques" du phantasme. "(LB.49)
 

Même si l'association établie entre le stéréotype et l'esprit industrialiste est nécessaire à la pertinence de notre analyse, l'intérêt de cette citation réside moins dans cette association (elle-même stéréotypée), et dans la charge négative que cela implique, que dans la description du "ressentiment" dynamisé par le stéréotype, "ressentiment" plus ambigu, et associé au Phantasme. Quand on rapproche cette citation du la page liminaire de La monnaie vivante(18), on voit poindre une perspective qui n'est pas éloignée de certaines prises de position de Walter Benjamin(19), qui n'est cependant pas celle que nous retiendrons, puisque notre propos se limite momentanément à cerner le dynamisme interactif de ces deux concepts dont la contradiction apparente semble bien

ne relever que d'un "ressentiment à réception."
 


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"Depuis le milieu du siècle dernier les anathèmes ont été lancés au nom de la vie affective contre les ravages de la civilisation industrielle.

Imputer aux moyens de production de l'industrie une action pernicieuse sur les affects, c'est, sous prétexte de dénoncer son entreprise démoralisante, lui reconnaître une puissance morale considérable. D'où lui vient cette puissance ?

Du seul fait que l'acte même de fabriquer des objets remet en question sa finalité propre : en quoi donc l'usage des objets ustensilaires diffère-t'il de l'usage de ceux que produit l'art, "inutiles" à la subsistance?

Nul ne songerait à confondre un ustensile avec un simulacre. À moins que ce ne soit qu'en tant que simulacre qu'un objet en est un d'usage nécessaire."(MV. 9)
 

Par une double procédure "disjonctive", caractéristique de son mode de pensée(20), Pierre Klossowski, bascule d'abord de la valeur négative (entreprise démoralisante) de la "production de l'industrie", (autrement dit "le stéréotype"), à sa "puissance morale", nécessairement implicitée par ce jugement de valeur.
 

À partir de là, il va poser la problématique d'une deuxième disjonction nettement moins implicite : "tombeau" du simulacre, le stéréotype n'a-t'il pas cette "puissance" qu'en tant que "simulacre" lui-même ? Cette bascule-là s'opérerait autour de la "valeur" fantasmatique de "l'objet" selon qu'il est perçu en tant que simulacre ou en tant que stéréotype, c'est à dire en tant que "porteur d'une rêverie individuelle" ou en tant que "fédérateur socio-mythologique", ce dernier adjectif pouvant s'entendre aussi au sens où Roland Barthes écrivait Mythologies(21).
 

C'est, en tout cas ce que peut laisser penser la citation qui suit :
 

"l'épanouissement de ce que l'on peut nommer maintenant l'érotisme romain ; érotisme naïf dans la mesure où il exprime l'imagination populaire, érotisme pervers dès lors qu'il s'individualise ; dans les deux cas se nourrissant des thèmes mythologiques qui vont s'émancipant du culte et peu à peu des solennités religieuses pour se faire spectacle proprement dit;" (OCMDR. 47-48)
 

Entre les deux "réceptions" d'une "source unique"(22) : le "simulacre" ("spectacle"), est établie une disjonction entre un "érotisme naïf" populaire et un "érotisme pervers" individuel qui s'apparente assez à la disjonction latente dans la réception du "stéréotype littéraire" qui "usurpe la fonction du simulacre" en "épargnant la pathologie du phantasme" (on pourrait dire la "perversité érotique") dès lors que la réceptivité individuelle s'aligne sur la réceptivité collective "populaire et naïve" :
 

"À la faveur de ces deux impossibilités, le stéréotype de l'objet le plus satisfaisant revient à supprimer les conditions de la rêverie et par une contrefaçon du rêve, à réduire dans de vastes couches sociales les phantasmes individuels. Mais la réceptivité individuelle par elle-même n'est pas encore au niveau de la demande d'un produit, soit au niveau de la consommation : elle ne s'y prête que lorsqu'un stéréotype mis en circulation lui fait prendre conscience de son insatisfaction propre, lequel stéréotype à la fois usurpe la fonction de la représentation et lui épargne les frais "pathologiques" du phantasme." (LB.49)
 

Cette corrélation complexe entre "simulacre" et "stéréotype" qui semble donc surtout "disjonctive" au niveau de la "réceptivité" et en fonction de "l'efficacité" s'articule sur une curieuse disjonction "gratuit-payé", comme le démontre souvent La monnaie vivante :
 

"Si l'expérimentation gaspilleuse est préalable à l'efficacité et que l'expérimental exprime un comportement universellement adopté à l'égard de tout bien et de tout objet - visant au profit, qu'en sera-t'il alors à l'égard du bien qui suppose toujours l'immuabilité de son usage ; soit du phantasme qui procure l'émotion voluptueuse - domaine par excellence de l'expérimentation gaspilleuse ? Laquelle s'exprime par la fabrication efficace du simulacre." (MV.12-13)

"Comment le monde ustensilaire évitera-t'il de tomber dans la simulation d'un phantasme ? Fabriquer un objet ustensilaire (p.ex. la bombe orbitale) ne diffère de l'acte de fabriquer un simulacre (p.ex. la Vénus callipyge) que par le prétexte inversé de l'expérimentation gaspilleuse : à savoir que la bombe orbitale n' a d'autre utilité que d'angoisser le monde des usages stériles. Toutefois la Vénus callipyge n'est que la face rieuse de la bombe, qui tourne l'utilité en dérision.

La superstition ustensilaire gravite autour de cette absurdité : à savoir qu'un ustensile ne serait un ustensile que s'il est un simulacre."(M.V.13)
 

Mais avant de poursuivre cette analyse, et de voir comment cette disjonction entraîne la notion de "suppôt" qui nous renvoie à son extension théâtrale "acteur", et, par le biais du "marché", entre autres, à celle de "prostitution", attardons-nous un peu sur le concept de "réceptivité" dans la mesure où la bascule "simulacre-stéréotype", est assimilable, chez Klossowski, à la bascule : "objet d'art-objet industriel". Cela fait évidemment penser aux théories de Nelson Goodman sur l'art et à celles de Georges Molinié sur la "réception d'art". Pour le philosophe comme pour le sémioticien la question : "What is art ?" est remplacée par celle-ci: "When is art ?"(23).
 

Cependant, si le concept hjemslévien et actantiel de "continuum", qui permet de basculer, par exemple, (en art verbal), d'une théorie de la littérarité vers une théorie de la littérarisation, est commun à ces "postures" qui, toutes trois, font du "temps" une donnée fondamentale de la saisie du "ressentiment d'art", il semble bien que seule la posture actantielle, fondée sur la "réception impliquée"(24) entre autres, partage avec Klossowski une vision "intempestive".
 

Klossowski et Molinié définissent en effet les traits de réception d'art à partir de ce qui est effectivement ressenti, "ici et maintenant". Cependant, l'objet médiateur de vertige, le "corpus", autrement dit le "corps propre", (sexuel, textuel, industriel) qui fonctionne comme simulacre pour une réceptivité particulière, (elle-même simulacre de la jouissance sexuelle),est, pour le sémioticien, analysable en une série de traits distinctifs. Toutefois, ceux-ci ne peuvent "fonctionner" que si le contact entre le récepteur et le corps, (peut-être stéréotypé), est un contact "impliqué" avec un "corps-simulacre", porteur de cet "érotisme pervers", (parce que fantasme individuel), que, certes, certains corps portent à un plus haut degré que d'autres. Mais, paradoxalement, cela peut empêcher le récepteur de jouir, s'il ressent ce "haut degré" comme un état accompli et "stéréotypé" d'un modèle et non comme un "simulacre" porteur de "vertige", à moins que sa jouissance ne lui vienne de reconnaître le stéréotype et d'éprouver alors le "corps" ("textuel" en oeuvre d'art verbal, "sexuel" dans la prostitution) comme un simulacre achevé de ce stéréotype. Si Molinié n'adhère à cette hypothèse que si le ressentiment, strictement stylistique en apparence, est d'ordre "textuel / sexuel", en "effet", Klossowski, plus pervers, ou plus absolument "inéchangeabiliste", verrait peut-être, même dans une saisie exclusivement "ustensilaire", un "degré" de l'insaisissable vertigineux du "signe unique" :
 

"Nul ne songerait à confondre un ustensile avec un simulacre. À moins que ce ne soit qu'en tant que simulacre qu'un objet en est un d'usage nécessaire."(MV. 9)
 

"La superstition ustensilaire gravite autour de cette absurdité : à savoir qu'un ustensile ne serait un ustensile que s'il est un simulacre."(M.V.13)
 

En revanche chez Nelson Goodman, la réceptivité s'exerce essentiellement à partir du concept d'exemplification qui construit chez le récepteur une chaîne de symbolisation qui le fait basculer par la "reconnaissance" d'un "simulacre potentiel".
 

C'est donc finalement du phénomène dont Klossowski dit qu'il empêche le "phantasme" de fonctionner, et renvoie le simulacre au rang du stéréotype, que Goodman dirait qu'il est condition de "réception d'art". Cela tient au fait que la réceptivité n'est pas engagée autour du simulacre, pour Goodman, parce qu'à la différence de Klossowski et Molinié, elle est envisagée "actorialement", et non "actantiellement", d'une part, et parce qu'elle n'est pas envisagée de manière "impliquée" mais de manière "archiviste" d'autre part. C'est de l'art quand c'est "porteur d'art" par "exemplification" : la réception n'est pas "intempestive", elle est "logiquement" le résultat d'une "émission". Elle peut, certes, "bouleverser" le postulat "apparemment émis", (exemplification dénotée ou littérale) mais c'est parce qu'elle reconnaît, dans le "corpus", des traits analysables en icones, (exemplification connotée ou métaphorique), dont la différence avec les simulacres réside en ce qu'elles ne sont pas "réversibles", et qu'elles ne constituent pas des "actes en soi". D'ailleurs, selon Genette lui-même, Goodman "semble ne pas concevoir d'autre figure, [que] métaphorique"(25).
 

L'intérêt de ces remarques réside moins dans l'examen des différences ou dans la quête d'une "vérité", que dans le constat que c'est bien sur une disjonction "simulacre-stéréotype", strictement dépendante de la réception, que se construit "le vertige" d'art .
 


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Roland Barthes exprimait déjà cela, à sa manière, dans S/Z, quand il disait à propos de ce couple : dénotation (stéréotype par excellence) - connotation ("simulacre", puisqu'elle met le sens "apparent du texte" en rapport avec un "invisible" de ce sens), que la dénotation est "la dernière des connotations"(26).

"la dénotation n'est pas le premier des sens, mais elle feint de l'être ; sous cette illusion, elle n'est finalement que la dernière des connotations (celle qui semble à la fois fonder et clore la lecture), le mythe supérieur grâce auquel le texte feint de retourner à la nature du langage, au langage comme nature. [...] C'est pourquoi si nous voulons nous accorder au texte classique, il nous faut garder la dénotation, vieille déité vigilante, rusée, théâtrale, préposée à représenter l'innocence collective du langage."
 

On retrouve, souligné dans la dernière phrase, que nous pensons applicable à tout "corpus", le lexique qui caractérise, selon Klossowski, l'érotisme romain fondé sur le simulacre. Alors, le stéréotype ne serait-il pas le dernier des simulacres ? le "mythe" supérieur par quoi le "phantasme" feint de retourner dans "l'ordre naïf d'une imagination populaire". Mais à ce prix conserve-t'on le vertige ? Sans doute si on ressent le "tourniquet"(27), celui que nous qualifiions, à la page précédente, "d'insaisissable vertigineux du signe unique" qui fascine tant Klossowski, dont Barthes, encore une fois, nous livre l'une des clefs . N'est-ce pas tout simplement ce "tourniquet", le centre de "gravitation" de cet "inéchangeable" qui "agite"et "agit" toutes les disjonctions Klossowskiennes : celles de la religion et de la débauche, du culte et des jeux solennels, du simulacre et du stéréotype, de l'échange et de l'inéchangeable, du marché et du gratuit ; celle, non encore analysée, de la "jouissance" et de la "déréliction", toutes identifiables comme des avatars de cette grande tension entre les deux bords du langage, que Roland Barthes décrit dans Le plaisir du texte :
 

"Deux bords sont tracés : un bord sage, conforme, plagiaire (il s'agit de copier la langue dans son état canonique, tel qu'il a été fixé par l'école, le bon usage, la littérature, la culture), et un autre bord, mobile, vide, qui n'est jamais que le lieu de son effet : là où s'entrevoit la mort du langage. [...] ce qui "arrive", ce qui "s'en va", la faille des deux bords, l'interstice de la jouissance, se produit dans le volume des langages, dans l'énonciation, non dans la suite des énoncés. [...]
 

Texte de jouissance: celui qui déconforte (peut-être jusqu'à un certain ennui), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage."(28)
 

Il est difficile de rédiger glose plus pertinente des phénomènes décrits par Klossowski, en particulier cette quête en aporie de l'écrivain partagé entre le désir d'échanger, (grâce au simulacre), et les conditions inéchangeables de la communication stéréotypée :
 

"Sous d'autres conditions ce que je tenais à dire ou à montrer n'eût pas pris nécessairement la forme de l'écrit ou du dessin : je cherchais seulement à provoquer des circonstances où mes émotions seraient partagées par un nouvel entourage. Si peu que cela!... Confiant dans les moyens d'une rhétorique conventionnelle, les estimant les mieux appropriés à donner corps à cela même que ces conventions excluent comme de l'insolite, je ne faisais que rendre plus obscur ce que je pensais dire de la façon la plus claire, quitte à donner à mon propos une apparence de futilité

Autour de moi, autour de nous, un monde où cet insolite se cachait, sinon diffus : et qui, espérais-je ingénument, ne manquerait pas de se dénoncer dans le miroir sans tain que je lui tendais" (LB.38)
 

Il est d'autant plus judicieux de s'attarder sur la position de Barthes que ce qu'il dit de la "jouissance", s'applique remarquablement à la disjonction : "vertige / déréliction" déjà évoquée(29) comme dynamisée par cette disjonction, qu'elle dynamise aussi : "simulacre / stéréotype" également concernée par ceci :
 

"ce qui "arrive", ce qui "s'en va", la faille des deux bords, l'interstice de la jouissance, se produit dans le volume des langages, dans l'énonciation, non dans la suite des énoncés. [...] Texte de jouissance : celui qui déconforte (peut-être jusqu'à un certain ennui), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage." (P.T. p. 23 [...] 26)
 
 
 

Sans doute cette "faille" est-elle perçue également par Goodman, Molinié et Klossowski, mais, en raison de leurs divergences de postures sur cette disjonction "simulacre / stéréotype", déjà éclairée par la capacité à éprouver le "vertige" d'art en demeurant sur le bord de la bascule, posture sans doute plus intenable dans le discours "d'archive" qui caractérise la philosophie comme la sémiostylistique, que dans l'oeuvre d'art (sans doute essentiellement caractérisée par son statut précisément de "signe unique" "rêvé" dans "l'échange inéchangeable"), leurs conceptions de la réception d'art sera différente, ne serait-ce que parce que le rôle du marché y est aussi saisi différemment.
 

Pour Goodman la gratuité est une donnée fondamentale de la réception d'art, à tel point qu'on peut "boucher une fenêtre avec un Rembrandt" dès lors qu'il n'est plus saisi comme "oeuvre d'art". Pour Klossowski et Molinié, elle n'est qu'un "état du marché", placé dans une disjonction "gratuit-payé" aussi complexe et ambiguë que celle de "simulacre-stéréotype", et porteuse d'une autre disjonction "jouissance / déréliction", qui n'est même pas envisagée par Goodman. Sans doute est-ce parce que ce ressentiment contradictoire est attaché précisément à l'état du "suppôt", dont le "simulacre" "absolu", parce que porteur de toutes les disjonctions de l'oeuvre de Klossowski comme "corps sexuel" et de toutes celles de l'oeuvre d'art comme "corps textuel", est le corps de la "prostituée", lui-même "simulacre" des corps de l'acteur, du modèle, de l'émetteur ou du récepteur, selon !
 


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Tout l'oeuvre de fiction de Pierre Klossowski, verbal et non verbal, est donc traversé par la présence constante du simulacre dont le lieu commun reste tout aussi constant : il s'agit de thématiser, en les théâtralisant, des scènes sexuelles scabreuses.
 

Cet "attrait" pour le motif persiste dans l'oeuvre peint où certains "sujets" (Roberte aux barres parallèles(30), entre autres,) sont "obsessionnellement" traités. Simplement la fonction réversible du simulacre est sensible dans la mesure où les organes sexuels, par exemple, sont "nommés" par des "organes textuels" tels que des formules latines : "utrumsit", "quidest", "sedcontra"(31). De même les simulacres peuvent être superposables, "feuilletés" en abyme comme dans le traitement du frontispice de l'essai intitulé du nom d'un "simulacre" latin(32) auquel Klossowski fera un sort particulier Le bain de Diane(33). Ainsi le simulacre est-il présent sous toutes les formes artistiques déjà répertoriées : "objets d'art peints" avec les tableaux vivants de Tonnerre(34) (La révocation de l'édit de Nantes, et le film Roberte interdite) ou la fresque interminable de La vocation suspendue(35), "scènes photographiées ou filmées" par Pierre Zucca pour illustrer une oeuvre (La monnaie vivante) ou en proposer des variations "trans-sémiotiques" (Roberte interdite) ; "photos projetées"(36) par Octave dans Roberte ce soir et dans le film Roberte interdite, où certaines "actions jouées" se figent elles-mêmes en "tableaux vivants" (La belle empoisonneuse).
 

Il est aussi présent sous la forme du "suppôt" : "suppôt réel" dans Le Baphomet, où le corps du jeune Ogier est habité du "souffle" de Sainte Thérèse(37), "acteurs" dans Le souffleur dont les personnages jouent au théâtre de société(38), "prostituée" enfin, avec Roberte elle-même(39), le signe unique.

Mais c'est dans l'essai, déjà cité, Origines cultuelles et mythiques d'un certain comportement des dames romaines que nous voyons le mieux pour quelles raisons Klossowski fait de la prostitution, la thématisation la plus juste de la notion de "simulacre", avec toutes ses valeurs contradictoires, et, pour l'instant, indépendamment de sa "valeur marchande", analysable, plus tard, à partir de La monnaie vivante. Le motif de la "prostituée sacrée" apparaît très vite dans l'oeuvre fondée sur les thèses de Bachofen(40) sur le matriarcat, controversées parce que jugées trop évolutionnistes ce que Klossowski reconnaît. Mais l'important, pour nous, n'est pas de savoir si la "prostitution sacrée" a existé ou non, ou si la thèse de Bachofen est fondée sur ce point. Il réside dans le fait que la vision du monde que suppose l'adhésion à cette théorie éclaire les conceptions du "simulacre" et de l'art en général de Klossowski. Et, dans la mesure où ces conceptions d'art reposent à la fois sur une "croyance" en un fondement socio-mythologique, (le culte romain), et sur une "théorie philosophico-sociale" (la monnaie vivante), elles entraînent aussi à voir dans la praxis d'art un acte social et non le reflet de la société. Une telle posture rejoint celle de la démarche d'analyse choisie, celle de la sémio-stylistique actantielle.

C'est en cela qu'il est fondamental, pour nous, d'étudier la notion de simulacre et ses "thématisations", puisque le "simulacre" est, selon nous, un "acte", (d'où sa théâtralité), et non une "icone" ou un "symbole". Cette mise au point faite, poursuivons.
 

Après un rappel historique du "rôle de la prostitution et des jeux scéniques dans leurs rapports avec les images de la mythologie" (p.15), il fait ce premier constat :
 

"ce fut cette équivoque même en raison de cette confusion du corps propre avec le bien moral, en raison aussi de la désacralisation progressive de la courtisane qui permit l'épanouissement de que l'on peut nommer maintenant l'érotisme romain ; érotisme naïf dans la mesure où il exprime l'imagination populaire, érotisme pervers dès lors qu'il s'individualise; dans les deux cas se nourrissant des thèmes mythologiques qui vont s'émancipant du culte et peu à peu des solennités religieuses pour se faire spectacle proprement dit ; sur ce plan-là les courtisanes deviennent des figurantes du plaisir ; tandis que les réalités mythiques servent bientôt de prétexte à tout ce qui aux yeux des Pères de l'Église, n'étaient que divertissements plus ou moins sacrilèges et toujours licencieux." (47-48)
 

Est ainsi mis en évidence un premier état de la fonction "simulacre" de la prostitution et du théâtre, comme simulacres l'un de l'autre également. Cet aspect sera signalé à plusieurs autres reprises, comme ici:
 

"Sans doute la mise à contribution des courtisanes dans pareilles solennités, loin d'être purement fortuite, constituait-elle au contraire une partie intégrante de ce culte ; elle ne serait donc pas à mettre sur le compte de l'époque particulièrement dissolue - entre Néron et Hadrien - dont date la scholie ad Juvenalem concernant ces détails ; et si Lactance nous dit que ce fut à la demande du peuple que les courtisanes figurèrent toutes nues dans les jeux scéniques, déjà Tite-Live rapporte qu'elles représentaient de la sorte l'enlèvement des Sabines et se prostituaient aux spectateurs après les jeux." (50)
 

Cependant, l'aspect "industriel" de la prostitution, également évoqué dans cette situation, souligne bien sa double valeur de simulacre ou de stéréotype, selon la réceptivité du "producteur-consommateur" :

" La législation romaine, préludant en cette matière à la conception occidentale moderne qui devait prévaloir jusqu'à une date récente, conçut et organisa la prostitution "professionnelle", selon la loi des compensations, comme un canal d'écoulement ; et cependant les courtisanes et les entremetteuses gardaient encore quelque chose du caractère rituel primitif de la prostitution, au moins dans un genre de solennités, celui des Floralies." (49)
 

Mais, c'est dans un long passage, (p. 51-54), intitulé :
 


"cas de prostitution délibérée

chez les dames romaines

et leur exhibition théâtrale"


 


que ce propos est le plus précisément développé, comme le montre cette série de citations :
 

"On pourrait établir un parallèle entre la lente désacralisation, la lente laïcisation des courtisanes et l'émigration des mythes hors des temples dans les cirques et les théâtres, par l'intermédiaire des solennités ; [...] L'attrait érotique qu'exerçaient sur [les femmes romaines] les jeux spectaculaires expliquerait les édits des Césars, tantôt restrictifs, tantôt latitudinaires," (51)
 

"Parallèlement à l'exhibition des courtisanes dans les Floralies, on ne saurait sous-estimer l'apparition des femmes romaines dans des jeux scéniques d'un nouveau genre, les mimes [...] où figuraient des dames de la société. [...] sous Tibère [...] des matrones renonçaient à toutes leurs prérogatives et se faisaient inscrire sur les registres civils comme entremetteuses pour se livrer à la débauche dans les lenonia, sans avoir à redouter les rigueurs de la loi." (52-53)
 

"l'évasion dans le déclassement social, le refus de la condition honorable, le choix du déshonneur ne répondent pas simplement à une satisfaction de plaisir. Qui ne voit le rapport entre la mise en commun du corps propre et l'exhibition scénique éprouvée alors comme forme de prostitution ? Le rapport entre l'exhibition de soi et le besoin de rendre tangibles ou d'incarner même des réalités invisibles ? La femme qui se prostitue obéit à une image comme celui qui cherche le contact avec elle : ceci appartient à l'ordre de la fiction. Les lenonia n'en sont que des succédanés. Le théâtre qui est la fiction même n'en implique pas moins la mise en commun du corps propre dans le fait d'incarner aux yeux de tous une réalité invisible.(54)
 

"Or le besoin de se produire, de s'exhiber - donc de figurer - resta absolument inséparable de la manifestation des dieux dans les cultes et les jeux solennels : le besoin de voir les divinités, de leur prêter une apparition physique, un corps, de les imaginer désirables l'une pour l'autre, et le besoin féminin de s'exhiber ou le besoin viril d'exhiber la femme - tout remonte à la même source." (54).

Outre les relations étroites entre la prostitution et l'art de la scène, en tant que "simulacre", (le mot étant pris dans sa valeur strictement fonctionnelle), on voit se dessiner, (p.54) la valeur "phantasmatique" profonde de cette notion autour des pôles contradictoires de "jouissance" et "déréliction", à la fois comme "lieu commun" du théâtre et de la prostitution, (donc de l'art dont la prostitution est un simulacre aussi), et comme "fonction profonde" du simulacre en tant qu'acte social.
 

Le constat à propos du "corps propre", comme celui qui suit sur le "besoin d'exhibition" dit clairement l'endroit de la faille disjonctive à l'infini dont faisait état les textes de Barthes, qui, bien que relevant de "la même source", ne cesse de "faire vaciller" de la jouissance à la déréliction et du simulacre au stéréotype comme le montre le rapprochement entre ces deux citations concernant "l'usage" des "hétaïres" "courtisanes et comédiennes" par leurs "consommateurs" "hommes et femmes":
 

"L'hétaïre qui, au service de la Déesse Mère aphrodisienne, officiait dans un sens à la fois liturgique et scénique, "incarnait" la divinité. Les courtisanes romaines qui, au théâtre "simulaient" les amours des déesses ; qui représentaient l'Enlèvement des Sabines d'abord, puis se prostituaient aux spectateurs à la fin des jeux, n'offraient ainsi autre chose qu'un simulacre charnel à chacun en particulier de cela même que tous, fondus dans la multitude, avaient vu et applaudi en tant que réalité mythique, en tant que fiction visible d'une invisible réalité." (71)
 

" Où et quand les consacrés à la déesse Caelestis étaient-ils initiés aux préceptes de la chasteté, nous l'ignorons. Mais devant son temple où nous contemplions sa statue, la foule affluait de toutes parts ; [...] portant alternativement nos regards sur les processions des courtisanes et sur la déesse vierge ; on l'adorait avec supplication en même temps que l'on célébrait devant elle des rites honteux. Là aucun mime, aucune actrice qui témoignât la moindre pudeur. Les offices n'y étaient qu'un tissu d'obscénités. On savait ce qui plaisait à la déesse virginale, et de la sorte chaque épouse, chaque mère de famille s'en revenait chez elle plus instruite et experte de ce qu'elle avait vu exhiber au temple." (72)
 
 
 

Cette ambiguïté d'usages confirme certes la "valeur mouvante" attachée au "corps propre", "sexuel ou textuel" : simulacre ou ustensile stéréotypé et stéréotypable ! Voilà qui nous "ramène" au constat initial d'un simulacre qui ne s'exprime que par le biais du stéréotype, (p.31), dans l'espace-contact de "l'entre stéréotypé / stéréotypable", (p.38-39).

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La "prostitution" apparaissait dans les derniers exemples cités comme étroitement liée à la "répétition". Dans la mesure où elle avait une valeur théâtrale, elle "répétait" spectaculairement la "fortuité amoureuse" des divinités, et dans la mesure où elle "éduquait" amoureusement les matrones, ses actes étaient appelés à être "répétés".
 

Mais, par dessus tout, la prostituée répète indéfiniment la répétition dérélictoire de l'acte sexuel "fondateur" du simulacre, "acte d'art", auquel il est associé, précisément à cause de sa "déréliction répétitive", dans ce passage déjà cité qui définit le simulacre comme réceptacle et producteur de stéréotype :
 

"À quoi donc répond notre maladie spécifique qui est de reproduire le fait d'exister, sinon à la jouissance de faire participer autrui à cette production ? [...] À quoi répond cette préoccupation de la réceptivité du lecteur ? Mais n'importe quel "créateur" est soucieux de se faire comprendre. Toutefois il s'en remet ici à des normes convenues de penser, de juger et de sentir. Mais justement ce qu'il divulgue a son centre de gravité dans l'inéchangeable, qui est "sans prix" qui n'a pas "cours", donc pour le redire une fois de plus, dans l'idiosyncrasique autorité de son expérience. Inéchangeable, elle ne requiert pas la divulgation à titre d'échange possible, mais une équivalence pour l'équilibre de l'artiste, soit dans l'art, le simulacre : lequel dissimule le secret de l'inéchangeable en simulant le sens commun pour s'assimiler autrui. Complice, de ce point de vue, le lecteur ne saurait l'être qu'en tant qu'initié à un secret par affinité. [...] Une rupture de vous-même avec vous-même eut pour effet de vous libérer de la contrainte de l'inéchangeable. L'inéchangeable est le souvenir obscur d'un événement. L'événement qui se produit en tel lieu, à tel moment, se confond avec le lieu. Révolu, il ne se répète que sous la forme du lieu qui l'évoque. Mais c'est là son génie dont la physionomie est celle de l'inéchangeable" (LB.40-45)
 

Toute cette citation serait à analyser avec minutie tant elle constitue "un secret" auquel on n'est "initié" que "par affinité", notamment quand on pose comme postulat de la saisie du vertige d'art la réversibilité actantielle de l'axe d'émission-réception, doublement évoquée ici, non seulement par le lien "créateur"-lecteur, mais aussi par la définition de "l'activité" réciproque du simulacre et du stéréotype.
 

Cependant on peut signaler quelques exemples de "stylèmes klossowskiens" de répétition recevables en "simulacres" de l'inéchangeable. Au plan du contenu (forme et substance), on rappellera la "thématisation obsessionnelle" du "sexuel scabreux"(41). Mais, si on regarde des unités plus fines de l'expression, on repère vite, en art non verbal, le graphisme même des dessins de Klossowski, gigantesques simulacres exécutés par l'application répétitive et "usante" de milliers de traits de crayon de couleur ce qui rejoint la minutie "industrieuse" avec laquelle Klossowski découpait le "climax" Roberte aux barres parallèles en 92 plans.
 

En art verbal, on relève des jeux qui visent à répéter, jusqu'à en épuiser toutes les virtualités, certains mots dans tous leurs sens(42) ou des variations sonores et sémantiques comme celles de la formule qui définit selon nous la distance-contact entre simulacre et stéréotype :
 

"le simulacre : lequel dissimule le secret de l'inéchangeable en simulant le sens commun pour s'assimiler autrui" (LB. 44).
 

Ce jeu est repris plus loin, de la sorte :

"[...] subsistant, qu'il simule ; l'intellect se dissimulant sous l'instinct de l'animal, qui est proprement l'art de simuler' (LB.51)
 

Mais, qu'on écrive, dessine, peigne, photographie ou filme des scènes scabreuses ou des "tableaux vivants", la forme de l'expression "répète" indéfiniment une scène éminemment théâtrale caractérisée par une structure triangulaire : une "victime" est assaillie "a retro" par un colosse, et "d'en dessous" par un nain, quelle que soit l'anecdote(43).

Mais dans la mesure où le simulacre est la "pose" entre deux ressentiments "répétitifs" du stéréotype (ressentiment de réception en amont, d'émission en aval), un nouveau stylème, "le suspendu", sera choisi pour "capter" la jouissance de l'inéchangeable dans sa déréliction-même. Là encore la "thématisation" de "l'inachevable" en constitue la substance du contenu, repérable dans chaque oeuvre, mais particulièrement sensible dans La vocation suspendue, dans le sémantisme même du titre, bien sûr, mais aussi dans l'épisode déjà cité, p. 48, de la "fresque inachevable et inexécutable", (note 35). Mais le motif si théâtral du "tableau vivant" en est, tant au plan du contenu qu'au plan de l'expression, un bon exemple.
 

En effet, le tableau, pose et fige une scène, généralement stéréotypée, relevant de l'ordre des "topoï" sexuels scabreux, traitée de la façon la plus stéréotypée possible, aussi bien en art verbal, avec des "clichés" comme : "ses longues jambes gainées de noir"(44), qu'en art non verbal, toujours figuratif et jamais stylisé pour les "sujets" alors que les décors "économiquement inutiles" sont à peine traités, surtout en photographie avec notamment un Enlèvement des sabines pour La monnaie vivante directement "inspiré" des péplums hollywoodiens. On peut aussi noter l'usage des ";" chez Klossowski. Particulièrement nombreux en raison d'une syntaxe fondée sur la phrase longue, ils se multiplient, allongeant les poses entre syntagmes de même nature, et créant une structure aussi inlassablement répétitive que celle des coups de crayons de couleur, geste éternellement suspendu au demeurant, pour reprendre sa même "activité", de façon quasi-industrielle.
 

Tout ceci demandera un examen plus systématique dont nous nous contentons, ici, de suggérer les "secrets", mais il est un "simulacre" particulièrement "répété" qui se déplace de scènes en scènes avec des valeurs constantes. Il déborde absolument et vertigineusement la "personne" de Roberte, et contribue à en faire un signe unique, puisque dès lors qu'on saisit sa présence, même dans un autre lieu, c'est ce "lieu" là(45), tel qu'il figure chez Roberte qui s'impose à l'imaginaire du lecteur-spectateur : c'est la "main suspendue"(46).
 

Que ce soit celle de Lucrèce repoussant le geste qui la dénude tout en offrant sa dénudation ; celle de La belle versaillaise saisie au poignet ; celle de Diane repoussant-introduisant Actéon ; celle de Pie XII bénissant la foule à la fin de Roberte interdite, c'est toujours le "solécisme"(47) théâtralisé de la main gantée-dégantée de Roberte, - mordue et léchée par le bossu ou le collégien comme son autre "Mont de Vénus", ("quidest" offert-refusé, "utrumsit" qu'on "trouble"), l'est par un nabot ou par un "chien"(48), -"solécisme" qui se répète, énigmatiquement suspendu de pages en pages, de dessins en dessins, de pages écrites en dessins, en photos, et en film, véritable "monnaie vivante", "épiderme" du "corps propre", prostitué par la syntaxe ou l'image, jusque dans sa production la plus "industrielle", à tous les consommateurs possibles du "marché de l'art".
 


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Le dernier fragment de La Monnaie vivante, intitulé justement La monnaie vivante, conclut de façon absolument vertigineuse les solécismes et les renversements dialectiques amorcés avec le concept de "corps propre"(49) entre les notions d'ustensiles industriels et de simulacre. Il n'est pas de notre propos d'analyser toutes les étapes de ces renversements dont la ligne de bascule est celle du "marché". Simplement on notera que le dernier avatar de ce "monnayage" est celui-ci:

"Comment la "personne" humaine peut-elle remplir la fonction de monnaie ? Comment les producteurs, au lieu de "se payer" des femmes, se feraient-ils jamais payer "en femmes" ?" (MV. 67).
 

On atteint là à l'absolu "prostitutionnel", celui où le "corps propre" n'est plus l'objet du marché, l'objet de l'échange, mais "l'échange même", On atteint aussi, semble-t'il, la limite asymptotique de la question de l'interprète, (l'acteur, mais aussi le lecteur, le spectateur, le consommateur, mais encore l'émetteur, mais enfin l'objet consommé, la prostituée ou le modèle), qu'il faudra bien poser à partir de la "réversibilité absolue" qui semble s'opérer ici, laquelle dépasse dans un simulacre unique, la dichotomie "objet industriel / objet de vertige", "stéréotype / simulacre", "art de masse / grand art", qui sur la plan strict de la monnaie vivante se dit ainsi:
 

" Dès que la présence corporelle de l'esclave industrielle rentre absolument dans la composition du rendement évaluable de ce qu'elle peut produire -(sa physionomie étant inséparable de son travail) -, c'est une distinction spécieuse que celle de sa personne et de son activité. La présence corporelle est déjà marchandise, indépendamment et en plus de la marchandise que cette présence contribue à produire. Et désormais l'esclave industrielle ou bien établit une relation étroite entre sa présence corporelle et l'argent qu'elle rapporte, ou bien elle se substitue à la fonction de l'argent, étant elle-même l'argent : à la fois l'équivalent de la richesse et la richesse elle-même." (MV. 74-75, clausule)
 

Sommes-nous si loin du vertige ... d'art ? Comme la prostitution, l'art n'est-il pas un acte social et un "marché" ? Que le "corps propre" (textuel ou sexuel) puisse être "à la fois équivalent de la richesse et la richesse elle-même", est-ce seulement "dérélictoire" ? N'est-ce pas là une des conditions de sa "réversibilité" que le simulacre soit, au contraire de la métaphore, "à la fois", l'objet et la valeur pour l'objet ? Si on en doute, qu'on lise la "clausule" de la Lettre à Butor, qui ouvre sur le vertige de "l'indicible", figuré par un autre "simulacre de prix",(pierres précieuses), aussi scabreux, (sortilèges, maléfique), que celui de la prostituée, et aussi cosmique, (constellations), que le vertige sexuel, "richesse valant pour la richesse", (gages de) :
 

"Métamorphosé en singe, l'artiste vaut pour un singe contenant un artiste ; l'un est l'analogue de la qualité de l'autre ; le singe dissimulant, de l'homme anéanti, l'intellect subsistant, qu'il simule ; l'intellect se dissimulant sous l'instinct de l'animal, qui est proprement l'art de simuler. Non pas en ce sens que l'artiste devienne inconscient de sa métamorphose en singe et le singe inconscient de contenir un artiste ; car il n'y aurait alors point de métamorphose, ni à la faveur de ses mille et une nuit, celle où l'artiste veille à son autoportrait.
 

Or, le simulacre, qu'ils représentent ici l'un par l'autre, agit de telle sorte que, l'artiste dût-il n'avoir plus que les souvenirs d'un singe, ceux-ci témoigneront toujours d'une érudition d'autant plus prodigieuse que c'est un singe qui en fait si grand étalage.
 

Aux antipodes de la production stéréotypée, de l'automatisme devenu industriel, les sortilèges de la magie: recelées dans les pierres précieuses, gages de l'inéchangeable, leurs forces pour lors maléfiques obéissent à des constellations, garantes des puissances de l'âme, que notre univers en expansion a depuis longtemps éloignées d'un coeur aux pulsations sans écho dans notre absence de monde.
 

Mais libéré de son propre automatisme, l'intellect, à son tour simulant le singe, si jamais il se ré-animalisait..." (LB. 50-51, clausule)
 

L'un par l'autre, n'est-ce-pas, comme à la fois, (qui suspend la disjonction dans un solécisme infini), ce qui définit la magie du simulacre : être l'objet d'échange et l'inéchangeable-même ? N'est-ce pas cela, le "phantasme inéchangeable absolu" du vertige d'art comme du vertige sexuel : être à la fois le corps producteur et le corps produit ; le corps émetteur et le corps réceptacle ; le corps émis et le corps reçu ; le corps inéchangeable et le corps-monnaie d'échange des corps ? N'est-ce pas, ce sparagmos, cet éclatement-là, qui est aussi une "suspension", LA jouissance absolue et paradoxale du signe unique ?

1. Pierre Klossowski, Les lois de l'hospitalité, Le chemin, Gallimard, Paris, 1965. Postface, p.333-350. Surtout à partir de : "Ce signe unique dénonce l'incohérence absolue où je suis tombé par rapport au monde, [...]." p. 339 ( Les pages des citations extraites de cet ouvrage seront désormais signalées : LHN, pour La révocation de l'Édit de Nantes, LHR, pour Roberte ce soir, et LHS, pour Le souffleur)

2. Roberte interdite, d'après les livres de Pierre Klossowski, La révocation de l'Édit de Nantes, et Roberte ce soir, adaptation de Pierre Klossowski et Pierre Zucca, produit par Filmoblic, Paris, 1978. Une cassette du film est visible à la Vidéothèque de Paris, Nouveau Forum des Halles, 2 Grande Galerie, Porte Saint-Eustache, 75001 Paris.

Persuadé que ce film n'est qu'un des avatars du signe : " Roberte ", nous préférons le terme : "variation" au terme du générique : "adaptation".

3. Roberte et Gulliver suivi d'une Lettre à Michel Butor, Fata Morgana, Montpellier, 1987, p. 42.

( Les pages des citations extraites de cet ouvrage seront désormais signalées : LB. )

4. Origines cultuelles et mythiques d'un certain comportement des dames romaines, Fata Morgana, Montpellier, 1986, p. 11, Incipit. (Les citations tirées de cet ouvrage seront signalées : OCMDR.)

5. "Sous le rapport de la vie sexuelle l'expérience se limite à la fonction qu'est l'acte de procréer ; mais la religion l'intègre à l'expérience même de l'univers ; les rites libèrent l'acte de sa monotonie et en multiplient l'image; l'image libère l'animalité de sa fonction et lui ouvre une nouvelle sphère : le jeu et les formes du jeu qui l'associent à la gratuité secrète de l'univers divin. La procréation est utile à la prospérité temporelle de l'État, mais les divinités qui y président et qui assurent la fécondité exigent des sacrifices et précisément des jeux : par quoi elles révèlent qu'elles ne sont pas seulement identifiables à la procréation, mais qu'en tant que principe elles représentent l'existence inépuisable parce qu'éternelle ; éternelle parce que sans but, et donc inutile. Cet aspect, effrayant pour l'État qui ne peut subsister que s'il se propose un but dans le temps et l'espace, doit donc rester caché sous la forme d'images assez ambiguës pour que la race soit prise du vertige de l'inutilité de l'existence ; l'attrait du vertige réside dans l'acte sexuel et le dépasse infiniment jusqu'à prendre les formes de la divinité ; un équilibre doit intervenir, une compensation mutuelle entre les efforts de construire et l'attrait constant de la destruction ; cet équilibre, cette compensation déterminent un double comportement à l'égard du divin qui dispense la vie et menace de la reprendre si elle n'est pas gaspillée en retour ; dans les cultes, l'État invoque la divinité pour qu'elle se reconnaisse dans les buts que l'État poursuit ; en revanche, dans les jeux solennels, il remet sa propre activité en question, il accepte que ses sujets imitent ce qui, dans la divinité, est contraire aux moeurs, pour se la concilier."(OCMDR.13-14)

"Les figures du monde mythique sont sujettes à une constante interprétation de l'existence à partir de la libido : une spéculation (au sens de la vision dans le miroir) intervient qui de plus en plus sépare la volupté de sa fonction proprement animale; la procréation avec son originelle référence au cosmos, à la puissance créatrice, le cède à l'expérience du trouble, à l'extase ; dans les mystères les contenus du mythe, les images de l'orgasme, associées à celles de la mort et de la résurrection deviennent symbole prémonitoire de l'immortalité. Telle est la revanche inattendue des divinités asiatiques sur les divinités "olympiennes" ; les jeux scéniques que ces divinités avaient institués à Rome apportent finalement une double libération : celle du plaisir érotique coïncide avec celle de leur fonction cultuelle ; les dieux olympiens, dans leur identité définitive, suffisamment "mûris" pour remettre en question par leur jeu l'ordre universel, n'apparaissent autrement au théâtre que dans l'infinie fortuité de leurs aventures amoureuses.

Les jeux scéniques consacrent leur gratuité et l'apothéose de leur volupté "inutile"." (OCMDR. 73-74, clausule)

6. "à mesure qu'elle importait et adoptait chez elle le culte des peuples voisins et surtout ceux des divinités helléniques, les simulacres, les statues firent leur apparition, et de ce fait, la détermination sexuelle des divinités : leurs hiérogamies, et les théogonies, consécutives à leurs légendes amoureuses, furent situées dans l'espace : quand saint Augustin parle de la "malfaisance" des statues, il vise précisément cette vision spatiale des figures divines sous leur aspect anthropomorphe. [...] Dès lors que tels étaient les simulacres divins dus aux maîtres de la statuaire antique et à leurs nombreuses répliques, qui peuplèrent l'espace visuel, voyons un instant le rôle psychique que jouait cette "explication" du divin sous forme de dieux et de déesses se faisant violence, s'unissant, exerçant la séduction et se livrant aux plaisirs. [...] On connaît le rituel des bains dont les statues de certaines déesses faisaient l'objet ; je n'insiste pas sur le caractère en soi purificatoire de ce rituel, sur la vertu propre aux eaux dans lesquelles l'image de divinité réintégrait sa puissance ; je retiens simplement la mise en valeur scénique de la statue." (OCMDR. 55-56)

7. "L'hétaïre qui, au service de la Déesse Mère aphrodisienne, officiait dans un sens à la fois liturgique et scénique, "incarnait" la divinité. Les courtisanes romaines qui, au théâtre "simulaient" les amours des déesses ; qui représentaient l'Enlèvement des Sabines d'abord, puis se prostituaient aux spectateurs à la fin des jeux, n'offraient ainsi autre chose qu'un simulacre charnel à chacun en particulier de cela même que tous, fondus dans la multitude, avaient vu et applaudi en tant que réalité mythique, en tant que fiction visible d'une invisible réalité." (71)

8. Théorie de Georges Molinié, voir Approches de la réception, (avec Alain Viala), PUF, Paris, 1993.

9. similis : semblable, simulo : rendre semblable, simul : en même temps, ensemble, simulacrum : représentation figurée de quelque chose. (Dictionnaire Gaffiot, Hachette, Paris, 1961, p. 1443-1445, référence valable pour tous les emplois attestés par la suite chez Lucrèce, Ovide, Virgile et Cicéron).

10. "Métamorphosé en singe, l'artiste vaut pour un singe contenant un artiste ; l'un est l'analogue de la qualité de l'autre ; [...] le simulacre, qu'ils représentent ici l'un par l'autre, agit de telle sorte que, [...] c'est un singe qui en fait si grand étalage."(Lettre à Butor, in Roberte et Gulliver, Fata Morgana, Montpellier, 1987, p. 50-51) (LB.50-51).

11. Louis Hjelmslev, (1899-1965), Omkring spogteoriens grundlaeggelse, Copenhague, 1943, (traduction française, Prolégomènes à une théorie du langage, Minuit, Paris, 1984, Chapitre 13, "Expression et contenu", p.65-79)

12. "Comme ceux-ci ils bâtirent à leur usage des hauts lieux, des stèles et des poteaux sacrés [...] il y eut même des prostitués sacrés." (Rois, 1,14,23-24, p.536-537, in La Bible, Ancien testament, Traduction oecuménique, 1975-1979). On retrouve la même allusion aux "stèles sacrées et aux prostitués sacrés" dans Rois 2, 23, 6-7, 15, p.598-599.)

13. Source : Dictionnaire de la langue française, Littré, fac simile édité à Bergame en 1974 de l'édition de 1877, article simulacre, p. 5910. Ces évolutions de sens sont aussi confirmées par le Dictionnaire étymologique de la langue française de Oscar Bloch et Walter Von Wartburg, P.U.F., Paris, édition 1994, p. 598-599.

14. Voir citation OCMDR.56-58, page suivante. Sur le caractère magique voir, p.59, la citation (LB..51).

Peter Brook, The empty space, traduction L'espace vide, Seuil 1969, chapitre 2 "Le théâtre sacré", par exemple, "J'aurais pu l'appeler le théâtre de l'invisible-rendu-visible." (p.65) ou "Notre but, dans chaque expérience, bonne ou mauvaise, réussie ou désastreuse, était le même : savoir si l'invisible peut être rendu visible par la présence de l'exécutant." (p.77).

Claude Régy, Espaces perdus, Carnets, Plon, 1991, " plus je travaille, plus je pense qu'on a affaire à du sacré, au sens antique du terme. [...] Approcher le mystère de la création du monde par le démembrement d'un corps." (p. 141). ou "Si chaque scène est jouée comme si elle avait été vécue dans une autre vie, ou projetée dans un imaginaire à venir, non encore vécu, la poétique qui s'installe est modifiée." (p.107). (cette dernière formule est à rapprocher de ce que nous disons sur la corrélation entre "l'intempestif et le stéréotype", page 4, ).

De plus tout ce qui, dans la conception de Klossowski, associe simulacre et stéréotype, pour rendre visible l'invisible, pour échanger l'inéchangeable, rejoint notre propre conception de la spécificité du théâtre, exposé dans notre article Parole d'acteur, "Energéïa" N° 2, Paris, Janvier 1996.

15. Hjelmslev, Prolégomènes [...], opus cité, p. 76.

16. L'image de la "gravitation" autour de l'inéchangeable que nous avons introduite p. 31, est dite dans les expressions que nous avons soulignées. Elle anime aussi bien sûr celle du "tourniquet" que nous employons p. 45.

17. Comme "ressentiment" ce terme est emprunté à l'univers de Nietzsche, univers familier de Klossowski.

Voir aussi à ce propos, la note 7, page 29, et cette citation de Régy : "On est tellement habitué à ne s'intéresser qu'à l'accomplissement des choses que le fait de tout retenir, de tout laisser en suspens avant l'accomplissement de de quoi que ce soit est très troublant. Je crois à la force de ce trouble." ( E.P. p.160)

18. La monnaie vivante, texte de Pierre Klossowski illustré de photos de Pierre Zucca, éditions Terrain vague, Éric Losfeld, Paris, 1970. Les citations, (MV), seront référencés à la réédition, non illustrée, Joëlle Losfeld, Paris, 1994.

19. Je pense à sa réflexion sur l'art industriel, sensible notamment dans Paris, capitale du XIXème siècle : le livre des passages, trad. Jean Lacoste, Cerf, Paris, 1989.

20. Ce phénomène est remarquablement analysé par Gilles Deleuze (à qui est dédicacé Roberte et Gulliver) et Félix Guattari, dans La synthèse disjonctive, paru dans L'Arc, n° 43, 1970, p. 54-62. Dans un autre article du même n° 43, Incarnation fantasmatique, Catherine Backès-Clément rappelle la définition de la disjonction selon le Traité de logique formelle de Serrus : "Il existe une relation appelée disjonction qui lie des propositions distinctes les unes des autres, et pensées du point de vue de cette distinction. C'est la relation qui sépare tout en réunissant." (p.27).

21. Roland Barthes, Mythologies, Pierres Vives, Seuil, Paris, 1957.

22. Notion klossowskienne essentielle, en corrélation avec celle de "signe unique", (cf note 1, p. 27), que l'on trouve exprimée telle quelle dans cette citation, et en relation avec le simulacre théâtral et/ou prostitutionnel : "Or le besoin de se produire, de s'exhiber - donc de figurer - resta absolument inséparable de la manifestation des dieux dans les cultes et les jeux solennels : le besoin de voir les divinités, de leur prêter une apparition physique, un corps, de les imaginer désirables l'une pour l'autre, et le besoin féminin de s'exhiber ou le besoin viril d'exhiber la femme - tout remonte à la même source." (OCMDR. 54)

23. "Quand y-a-t'il art ?", Nelson Goodman, (1997), in D. Lories, Philosophie analytique et Esthétique, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988. La théorie de Nelson Goodman est largement commentée et reprise dans Fiction et Diction, Gérard Genette, Poétique-Seuil, Paris, 1991, en particulier aux chapitres I et IV, à partir de Langages de l'art, (1968), Paris, Jacqueline Chambon, 1990.

24. Dans sa conception sémiostylistique actantielle de la réception d'art, Georges Molinié énonce, en l'état actuel de sa réflexion, (1995), 3 types de réception : la réception d'archive, qui est celle du "chercheur", la réception pathétique qui est celle de celui qui se "reconnaît réellement dans l'oeuvre", et la réception impliquée de celui qui se "dissout" dans une oeuvre qui elle-même le "confond". Seul cet état de réception, qui fait du corps textuel un simulacre du corps sexuel peut procurer le vertige absolu de la réception d'art.

25. Fiction et diction, opus cité, p. 113. Voir aussi, infra, p.58.

26. Roland Barthes, S/Z, Tel Quel, Seuil, Paris, 1970, p. 16.

27. Nous empruntons ce terme à Gérard Genette, Figure III, Poétique, Seuil, Paris, 1972. "Métonymie chez Proust", p.50, note 1. Genette constate que selon que l'on reçoit La Recherche comme une fiction ou une autobiographie, la relation de cause à effet entre métonymie et métaphore s'inverse. Il en conclut ceci : "Peut-être d'ailleurs faut-il rester dans ce tourniquet." Nous nous contentons de suggérer la même attitude de réception pour "être confondu" dans le vertige de la relation simulacre-stéréotype. Voir aussi, supra, note 16, p. 38.

28. Roland Barthes, Le plaisir du texte, Seuil, Pierres vives, 1973, (p. 14-26, réédition Seuil, Points, 1989)

29. Voir supra, p.30.

30. Une étude de Jean-Maurice Monnoyer, parue dans Roberte au cinéma, Obliques, 1978, p.89-95, intégrant un découpage de 92 plans rédigé par Klossowski, en 1966, pour un film imaginaire, fait un bilan très "parlant" de ce "climax", traité dans LHR, p.42-45, dans Roberte interdite, séquence 11, sous forme de photos dans La monnaie vivante, et sous formes de dessins multiples, au crayon et au crayon de couleur.

31. LHR "l'âcre odeur monte de son utrumsit", p.144, "il l'oblige à mettre elle-même son quidest dans le plus parfait état.", p.147, "Victor l'installe sur son sedcontra.", p.172. Ces mots désignent le vagin, le clitoris et le phallus.

32. "On connaît le rituel des bains dont les statues de certaines déesses faisaient l'objet ; [...] je retiens simplement la mise en valeur scénique de la statue." (56)

33. Le bain de Diane, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1956, réédition Gallimard, Paris, 1980, p.4

Dessin intitulé M. de Max et Mlle Glissant dans "Diane et Actéon". On voit ici 7 niveaux d'échanges:

A Niveau mythique Actéon prend la forme d'un cerf, et Diane d'une mortelle.

B Niveau verbal Le mythe actualisé par Klossowski.

C Niveau théâtralisé Le mythe devient prétexte à un jeu scénique, (M. de Max, Mlle Glissant).

D Niveau pictural 1 Klossowski peint la scène mythique A.

E Niveau pictural 2 Klossowski peint la scène mythique actualisée par Klossowski écrivain B.

F Niveau pictural 3 Klossowski peint la scène de niveau E jouée par deux acteurs inventés C.

G Niveau pictural 4 Klossowski peint la scène de niveau F en utilisant le modèle récurent, Denise, (Roberte?).

34. LHN, p.13-14, 21-25 (Lucrèce), 27-33, 80-83 (La belle versaillaise), Roberte interdite, séquences 22, 23.

35. La vocation suspendue, Gallimard, Paris, 1950, p.75 sq. Fresque "inachevable et inexécutable" (p.84).

36. LHR, II, p.114-136, Roberte interdite, séquence 8.

37. Le Baphomet, Mercure de France, Paris, 1965. "[...] Ogier ou Thérèse il ne voulait plus le savoir;" p.129

38. LHS, sous-titre ou un théâtre de société, p.175. Un court métrage d'Alain Fleischer, Pierre Klossowski : Portrait de l'artiste en souffleur, 1982, est construit autour de lectures par Klossowski de passages de cette oeuvre, "illustrées" par Klossowski mettant en scène Denise dans les scènes lues, et par Klossowski et Denise visionnant les "rushes" de ces scènes filmées...

39. LHN : " je pensais faire des heureux, comme si j'eusse pu m'abstraire d'un don par trop voluptueux de ma personne. Sans prévoir cette griserie pour moi nouvelle : le fait d'accepter avec délices qu'on me paye pour cela. Qu'est-ce que ce besoin de me vendre ? Ainsi le veut la règle." p.61. LHS. L'hôtel de Longchamp, p.216-218.

40. Bachofen, Das Mutterecht, Stutgart, 1861.

41. Voir supra, p. 48 & 49, et notes 30 à 38. Cette note 38 signale un acte particulier de répétition "actualisé" dans le film de Fleischer. On notera aussi que Le souffleur "thématise" plutôt la "répétition" que le "spectacle".

42. Roberte ce soir s'ouvre sur une citation de Tacite (LHS p.108). Puis le passage de l'ouvrage censuré d'Octave qui refuse de s'évacuer dans les toilettes de Roberte commence par "Tacita, le colosse" (LHS. p.138). Enfin, le débat entre Roberte et Octave à propos de Victor, (le colosse), s'ouvre par ces répliques : "J'avais votre accord tacite. -Tacite, quelle mauvaise foi !" (LHS. p. 151) !

43. L'article de J.M. Monnoyer, signalé note 30, p. 48, y fait rapidement allusion, p.94. On peut ajouter ceci:

Regardant la reproduction de "M. de Max et Mlle Glissant dans Diane et Actéon", qui ouvre le texte de Le bain de Diane, dans l'édition Gallimard, je ne peux manquer de faire le rapprochement avec la scène de "Roberte et le colosse", et avec celle de "Roberte aux barres parallèles" (Les lois de l'hospitalité). C'est la même composition: Roberte ou Diane au centre, offerte et retirée à la fois, tordue, voire "dis-tordue" souvent en "oblique", biaisant, dominée par un être "fantastique, sur-homme", (colosse, cerf, mollusque) qui tente de la posséder de biais et / ou par derrière, et dominant un "sous-être, tout aussi fantastique", (bossu, "trapu", chien), qui ne s'intéresse qu'à son "quidest".

De plus les superpositions entre les "actants" des diverses oeuvres se complexifient au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture: Actéon se charge aussi des caractères d'Antoine ("neveu", p.35 B.D., ou fixation sur le dos d'Artémis), du "narrateur" (p. 38, le "Je" est celui d'un Actéon "voyeur" comme Théodore dans Le souffleur ou Octave dans La révocation de l'Édit de Nantes et de Roberte ce soir), voire de ceux du "bossu", (p.94: "il se rue tête baissée" dans l'entrebâillement du postérieur de Diane),ou du "trapu" qui lui aussi "dévoile-déjupe" "Diane-Roberte" et est frappé (gifle-eau du bain) par la "déesse". En fait, l'ambiguïté de la "posture" de la page 94, -véritable "im-posture" d'Actéon, par rapport au mythe : jamais Diane ne fut "prise"- fait d'Actéon ici, à la fois le double du bossu, parce que, comme celui-ci le faisait de Roberte, il dévore l'entre-cuisse de Diane, et celui du colosse car il semble bien aussi pénétrer son vacuum ( B.D.,94, L.H.,142-147). En fait s'il se "rue", "bouche fendue, mâchoires garnies de crocs, chien lui-même, à l'image du bossu "à tête d'épagneul" (L.H., p.139) qui "s'empresse hardiment, du bout de sa langue", (id.144), et "engloutit le quidest" (id.147), "il se rue" bien aussi dans "le postérieur de l'idole" qui "s'entrebâille", de même que la sentence du colosse "vient s'exécuter, énorme et bouillante entre [les] fesses" et "force largement [le] vacuum" (id.147), après que Roberte a vu "ses propres fesses, se contracter et béer vers leur fente." (id.145).

44. LHR. opus cité, p.172.

45. "L'inéchangeable est le souvenir obscur d'un événement. L'événement qui se produit en tel lieu, à tel moment, se confond avec le lieu. Révolu, il ne se répète que sous la forme du lieu qui l'évoque. Mais c'est là son génie dont la physionomie est celle de l'inéchangeable" (LB. 45)

46. Il n'est pas inutile de rappeler que, dès l'avertissement de Les lois de l'hospitalité, Klossowski, pour préciser la formule déjà citée : "l'épiderme de Roberte ne pourrait seulement pas frissonner sans que ma syntaxe qui n'en est que l'envers [...] soit son caractère exposable, sa promotion au rang d'article son avènement mercantile" ajoute: " celle-ci [la pensée] ne demande pas mieux que de se mouvoir au gré de son intensité, tantôt l'envers, tantôt l'endroit, que Roberte se gante ou se dégante, que l'épiderme de sa paume paraisse ou disparaisse - pas plus qu'il n'en coûte à mon instrument, la syntaxe, d'abuser d'une métaphore. L'épiderme de Roberte, dès lors que ma syntaxe en constitue le tissu, fera subir à sa texture un sort identique [...]". Mais nous détaillerons tout ceci au chapitre suivant.

47. "Certains pensent qu'il y a solécisme dans le geste également, toutes les fois que par un mouvement de la tête ou de la main on fait entendre le contraire de ce que l'on dit" Quintilien, Institution oratoire (I, v, 10). Cité par Octave en tête de son journal. LHR. p.14.

48. Il convient d'ajouter aux scènes décrites note 43, p.55, les descriptions de tableaux vivants et la scène des barres parallèles référencées dans les notes de la page 48, et le plan final de la dernière séquence de Roberte Interdite.

49. "Ainsi le corps propre, par la manière d'en disposer à l'égard du corps propre d'autrui, est un bien d'usage dont le caractère inaliénable ou aliénable varie selon la signification que lui donne la coutume. (C'est en quoi il a un caractère de gage, valant pour ce qui ne peut s'échanger)." (MV. 11) Ce postulat lance un débat complexe et sans cesse "renversé" qui se conclut dans le dernier fragment, détaché nettement du reste de la "thèse", p. 67-75.