Position du problème
Présentation
générale
L'Inéchangeable
: du motif à sa portée sémiotique
Nature sémiotique
de l'Inéchangeable
Pourquoi
la sémiotique de la réception
Quand, parti d'un constat de théâtralité
dans l'oeuvre de fiction d'un artiste inclassable, non seulement sur le
plan de l'art verbal, mais aussi sur le plan des arts plastiques, on se
propose de décrire suivant les méthodes d'une sémiostylistique
originale mais rigoureuse l'inéchangeable, il semble
sage de se prémunir triplement quant à la méthode
d'investigation, quant à la nature sémiotique de ce qui ne
peut sembler exister qu'en tant que thème, et quant à ce
que l'on considère comme oeuvre de fiction dans la multitude des
productions de cet artiste.
Pour exposer la méthode on renverra essentiellement aux différents
ouvrages de Georges Molinié, en particulier Approches de la réception(1),
qu'il faudra cependant compléter par un "résumé" des
conférences non publiées du Séminaire de sémiostylistique
tenu en Sorbonne, au cours desquelles la théorie s'affine et se
diversifie. Pour établir la nature sémiotique de la notion
d'inéchangeable, on confrontera les notions mises
à jour par la méthode d'investigation choisie, elle-même
éclairée par les définitions des fonctifs sémiotiques
de Hjelmslev(2), dont elle se réclame,
avec les "définitions" qu'en donne Klossowski lui-même.
On reviendra sur ces deux préalables dans la suite de ce chapitre, mais il convient d'abord de définir précisément le corpus auquel on s'attachera pour cette étude.
I - Présentation générale et objet d'étude retour
On acceptera comme corpus fictionnel en art verbal, celui reconnu par Klossowski, auquel se réfèrent tous les exégètes, lequel se résume aux oeuvres suivantes, narratives :
La vocation suspendue(3),
la trilogie de : Les lois de l'hospitalité(4) :
La révocation de l'Édit de Nantes(5),
Roberte ce soir(6),
Le souffleur ou un théâtre de société(7) ;
Le Baphomet(8),
et son adaptation théâtrale : L'adolescent immortel(9) ;
auxquelles on peut ajouter deux ouvrages plus discutables, parce qu'associés à un essai :
Les derniers travaux de Gulliver(10),
Roberte et Gulliver(11).
Dans cette liste, seule une oeuvre est donnée pour explicitement théâtrales : L'adolescent immortel, et deux autres le sont par leur écriture (didascalies et discours de personnages) : Roberte et Gulliver, (en entier), et Roberte ce soir pour la partie I et partiellement pour la partie II, mais la mise en scène poserait bien des problèmes. Cependant Le Souffleur, par son titre et son contenu renvoie aussi explicitement au théâtre. Et l'on verra que les autres ouvrages sont construits autour de "scènes théâtralisés".
C'est en fait cette variation autour d'une théâtralité
rêvée et jamais totalement assumée qui nous a interrogé
et qui nous semble assurer le "passage d'échange inéchangeable"
avec les "variations plastiques", autour de concept même d'inéchangeable
largement développé dans l'oeuvre, thématiquement,
techniquement, et théoriquement.
Pour les dessins on se référera essentiellement au catalogue
établi par les Éditions de la Différence avec le Concours
du Centre National des Arts Plastiques en 1990, complété
par les dessins illustrant des ouvrages plus récents comme L'adolescent
immortel.
Pour les photos on utilisera surtout celles qui illustrent La Monnaie
Vivante(12), et pour le cinéma
on se référera surtout au film Roberte(13),
ce qui demande tout de suite une mise au point. Ni ces photos ni ce film
n'ont été réalisés techniquement par Pierre
Klossowski, mais, dans les deux cas, c'est Pierre Zucca (mort en 1995)
qui opérait. Seulement, le travail a été accompli
en collaboration par les deux hommes, et, on peut les considérer
aussi comme des oeuvres à part entière de Pierre Klossowski,
non seulement parce que cela illustre son texte, (La Monnaie vivante),
ou "l'adapte", (Roberte) ; non seulement parce qu'il y "fait l'acteur"(14),
mais parce que Pierre Klossowski reconnaît ces "images" comme des
"variations", des "simulacres" à part entière de son oeuvre.
Quelques faits précis viennent étayer cette hypothèse
de travail.
Quand Klossowski décida de publier Roberte ce soir, en
édition bibliographique illustrée pour contourner la censure
qui acceptait difficilement un texte aussi scabreux en 1954, il fit d'abord
appel à son frère, peintre déjà reconnu, Balthus.
Comme ses premiers dessins ne lui convenaient pas, il exécuta des
ébauches pour lui donner une idée de ce qu'il attendait.
Et Balthus lui conseilla de publier ses propres dessins, ce qui initia,
avec bonheur, sa carrière de plasticien. Donc, - alors qu'il ne
mentionne jamais les autres adaptations de son oeuvre, (les deux films
de Raoul Ruiz(15)), auxquelles il n'a pas
collaboré, - s'il ne reconnaissait pas Zucca comme son "complice"
pour ce "simulacre-là" il ne "défendrait" pas ce film avec
passion.
En effet, il a collaboré, avec Pierre Zucca, à la réalisation
d'un numéro spécial de la revue
Obliques(16)
consacré au film d'abord intitulé Roberte interdite,
dont le rôle-titre est assuré par le modèle accoutumé
du "peintre", son épouse Denise-Morin-Sinclaire, première
nommée au générique, juste après le titre du
film , ce "nom de Roberte", signe unique de l'oeuvre de Klossowski.
De plus, dans un article publié dans La ressemblance(17)
et dans le Catalogue, Klossowski s'explique longuement sur la rencontre
miraculeuse avec Zucca, et sur la possibilité d'un travail cinématographique
commun. Il revient aussi sur la lutte avec les producteurs pour imposer
Denise comme interprète. Voilà quelques faits qui confirment
que ces deux "oeuvres", même réalisées par Pierre Zucca,
sont aussi des "variations" plastiques de l'oeuvre de Pierre Klossowski,
autour de ce "motif" central : "l'inéchangeable",
dont on peut maintenant tenter une première approche définitionnelle,
afin d'en établir la portée sémiotique.
II - L'inéchangeable : du motif à sa portée sémiotique retour
Des titres comme La monnaie vivante ou Les lois de l'hospitalité
sous-tendent un motif de l'échange dont l'inéchangeable
dirait simplement l'impossibilité, la limite. Un titre comme La
vocation suspendue, sans dire l'échec d'un quelconque échange,
traduit bien, lui aussi, le caractèreinéchangeable
d'une expérience dont l'interruption n'est pas un échange
de condition, mais une simple suspension, une pose/pause.
En fait si l'on se pose, précisément, un instant,
on s'aperçoit qu'à considérer les motifs récurrents
de l'oeuvre de Klossowski on rencontre plus souvent ceuxde l'échange
que ceux de l'inéchangeable. Mais ce paradoxe
n'en sera peut-être pas un dès lors qu'on s'enfoncera plus
avant dans l'examen.
Motif obsessionnel de l'oeuvre, l'échange sexuel, scabreux, est traité dans toutes les formes d'expression que l'artiste a utilisées: art verbal & art plastique. Dans l'art verbal, les fictions lui font la part belle et sous toutes ses formes : la prostitution de l'épouse, l'homosexualité, le sadisme, le sacrilège, l'inceste; tout ce qui, à l'échange sexuel, ajoute d'autres échanges, (monétaires, extra-conjugaux, immoraux, sacrilèges), tout ce qui déplace la catégorie sexuelle vers d'autres catégories, (les affaires, le sacré), est traité. Cela s'étend aux autres genres que le narratif, (théâtralité de Roberte ce soir, de Roberte et Gulliver et de l'Adolescent immortel), jusque dans les essais. Le bain de Diane(18) ajoute à la panoplie scabreuse, la zoophilie, et l'échange de forme et de nature entre une déesse et un mortel, "échangeant même le mythe réel" de Diane et Actéon contre des variantes propres à "l'essayiste", (qui ne justifia jamais mieux cette appellation), qui autorisent des "échanges amoureux" "inimaginés" comme celui du fleuve et de la déesse. Quant à l'essai : Origines cultuelles et mythiques d'un certain comportement des dames romaines(19), il développe une étrange théorie sur les échanges prostitutionnels des matrones et des esclaves qui ne seraient que les avatars d'échanges sacrés.
Mais ces mêmes motifs qui parcourent la prose de Klossowski s'actualisent
dans son
oeuvre plastique. Bien évidemment dans les photos
qui illustrent La Monnaie Vivante ou dans le film Roberte
interdite construit à partir de Les lois de l'hospitalité.
Klossowski rédigea le scénario du film, et contrôla
d'autant mieux "l'illustration" de ses oeuvres écrites, que, nec
plus ultra de l'échange, il est lui-même "acteur" des
"images" tirées de son oeuvre (avec Denise son épouse dans
le rôle de Roberte). Toutefois ce sont ses dessins, qui en
constituent évidemment l'essentiel. Là encore le motif de
l'échange sexuel scabreux domine, avec Denise comme modèle
de toutes les figures féminines, (Roberte, Diane, Valentine, et
les héroïnes des "pseudo-tableaux" de Tonnerre, Lucrèce,
La
belle Versaillaise).
Tous ces dessins ont d'abord pour sujets des scènes de l'oeuvre
écrite. Il s'agit donc exclusivement d'un échange de techniques
d'expression traitant les mêmes motifs obsédants. Mais
dans l'expression dessinée, le motif de l'échange "s'abyme".
Par exemple un dessin intitulé
M. de Max et Mlle Glissant dans
"Diane et Actéon"(20),
reproduit en frontispice pour Le bain de Diane, comporte au moins
7 niveaux d'échange :
A Niveau mythique Actéon prend la forme d'un cerf, et Diane d'une mortelle.
B Niveau verbal Le mythe actualisé par Klossowski.
C Niveau théâtralisé Le mythe devient prétexte à un jeu scénique, (M. de Max, Mlle Glissant).
D Niveau pictural 1 Klossowski peint la scène mythique A.
E Niveau pictural 2 Klossowski peint la scène mythique actualisée par Klossowski écrivain B.
F Niveau pictural 3 Klossowski peint la scène de niveau E jouée par deux acteurs inventés C.
G Niveau pictural 4 Klossowski peint la scène de niveau F en
utilisant le modèle récurent, Denise, (Roberte ?), qui serait
aussi le modèle aux niveaux D & E.
Cependant à partir de 1970, surtout, une part de l'oeuvre plastique
abandonnera, et le modèle de Roberte, (pour privilégier celui
du Baphomet), et la référence explicite à l'oeuvre
écrite, tout en conservant une structure "obliquement triangulaire"
dominante dans le traitement spatial du motif récurrent. En fait,
en observant la répétition infinie de ce motif d'échange
: la scène érotique scabreuse, souvent liée à
d'autres échanges : (monétaires = prostitution, profane /
sacré = sacrilège, jeu érotique / politique = trahison,
familial = inceste, etc.), nous parlons aussi d'échange entre les
arts (écriture / image), qui semble résulter d'un besoin
d'approche renouvelée dans le traitement de l'échange autour
d'une image obsédante : peut-être est-ce là "signe
unique d'inéchangeable", que cette façon de toujours
tenter de faire tenir un échange "impossible".
En effet, "ici la communication ne s'exerce jamais autrement que
pour donner le change" (L.B. p 41) et "l'inéchangeable
est sans prix, n'a pas cours", comme l'écrit Klossowski dans
les Fragments d'une lettre à Michel Butor reproduite dans
Roberte
et Gulliver :
"Sous d'autres conditions ce que je tenais à dire ou à montrer n'eût pas pris nécessairement la forme de l'écrit ou du dessin : je cherchais seulement à provoquer des circonstances où mes émotions seraient partagées par un nouvel entourage. Si peu que cela!... Confiant dans les moyens d'une rhétorique conventionnelle, les estimant les mieux appropriés à donner corps à cela même que ces conventions excluent comme de l'insolite, je ne faisais que rendre plus obscur ce que je pensais dire de la façon la plus claire, quitte à donner à mon propos une apparence de futilité" (LB.37-38)
et
Mais n'importe quel "créateur" est soucieux de se faire comprendre.
Toutefois il s'en remet ici à des normes convenues de penser, de
juger et de sentir. Mais justement ce qu'il divulgue a son centre de
gravité dans l'inéchangeable, qui est "sans prix" qui
n'a pas "cours", donc pour le redire une fois de plus, dans l'idiosyncrasique
autorité de son expérience. Inéchangeable, elle ne
requiert pas la divulgation à titre d'échange possible, mais
une équivalence pour l'équilibre de l'artiste, soit dans
l'art, le simulacre : lequel dissimule le secret de l'inéchangeable
en simulant le sens commun pour s'assimiler autrui. [...] L'inéchangeable
est le souvenir obscur d'un événement. L'événement
qui se produit en tel lieu, à tel moment, se confond avec le lieu.
Révolu, il ne se répète que sous la forme du lieu
qui l'évoque. Mais c'est là son génie dont la physionomie
est celle de l'inéchangeable" (LB.44-45),
Il apparaît donc qu'en tant que motif, l'inéchangeable
n'est qu'un "simulacre", simulacre d'une idiosyncratique expérience
dont l'échange n'est qu'un leurre, dissimulant sous des simulacres
infiniment échangeables le caractère inéchangeable
de ce secret. En fait, c'est en cela que sa place est fondamentale au coeur
de l'oeuvre. Il suffit de lire la Postface de Les lois de l'hospitalité
pour s'en rendre compte, ou toute cette fameuse lettre à Michel
Butor.
Mais c'est en cela aussi que ce motif possède une nature sémiotique
que nous allons préciser de façon minimale à un stade
aussi initial de la recherche.
III - Nature sémiotique de l'inéchangeable. retour
La sémiotique consiste en l'étude des signes. Rien que
cette définition succincte sur laquelle s'accordent les théoriciens
du langage, invite à utiliser cette science pour questionner une
oeuvre qui définit aussi l'inéchangeable comme implicitement
lié au signe unique, en s'attardant très longuement
sur ce rapprochement tant dans la Postface de Les lois de l'hospitalité
que dans
La ressemblance. Mais avant de voir comment la nature sémiotique
de l'inéchangeable est inscrite à l'intérieur de l'oeuvre
de fiction, c'est finalement l'objectif que nous visons, voyons en quoi
c'est un "signe" étudiable selon la démarche sémiotique
que nous envisageons. D'abord la définition du signe à laquelle
nous nous référons est celle de Hjelmslev(21)
:
" Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le signe est donc à la fois signe d'une substance du contenu et d'une substance de l'expression. C'est dans ce sens que l'on peut dire qu'un signe est signe de quelque chose. [...] Le signe est une grandeur à deux faces, une tête de Janus avec perspective des deux côtés, avec effet dans deux directions ; "à l'extérieur", vers la substance de l'expression, "à l'intérieur" vers la substance du contenu."
Il ajoute :
" Il semble plus adéquat d'employer le mot signe pour désigner
l'unité constituée par la forme du contenu et la forme de
l'expression et établie par la solidarité que nous avons
appelé fonction sémiotique."
Si la brève description initiale du motif de l'inéchangeable
laisse supposer qu'il peut être analysé à partir d'une
étude de la solidarité sémiotique entre les quatre
fonctifs de Hjelmslev sur lesquels Georges Molinié fonde sa propre
méthode, et dont il précise les champs d'investigation au
début de Approches de la réception(22),
il convient de proposer quelques pistes pour rendre compte pratiquement
de la nature sémiotique de cet inéchangeable.
D'abord, sur le plan de la substance du contenu, il y a le constat de cette frénésie de l'échange, bien sûr, mais sur le plan de la forme de l'expression, on s'intéressera plus encore aux solécismes qui la constituent, quelle que soit la forme du contenu choisie, verbale ou plastique. Octave, dès la première page rapportée de son journal (L H, 14) lâche le mot, et à y regarder d'un peu près, l'échange art verbal / art pictural, lui-même, est souvent "soléciste". Ainsi, l'essentiel des journaux de Roberte et Octave est-il constitué de scènes reconstruites pour Roberte(23), et de la description des tableaux vivants de Tonnerre, pour Octave, qui a clairement conscience de ce que ces tableaux valent pour (simulacres) les scènes "triviales" (à ses yeux) vécues (et reconstituées en inéchangeable) par Roberte. Mais les mots "valent-ils pour" les tableaux, (L.H. 50) ?
Qui est Tonnerre, (dont le nom résonne avec Roberte sur le plan
de la substance de l'expression) ? Vittorio, Klossowski ? Ou plutôt
le "pseudo" Tonnerre(24) rend-il
inéchangeable
la scène vécue-rêvée par Klossowski-Octave(25)
?
Ainsi donc le "signe" est-il plastique, ou théâtral
(Le souffleur, Roberte ce soir), que ce soit la forme écrite
qui soit théâtrale, ou que ce soit le texte qui "raconte"
du théâtre. c'est toujours une scène, un simulacre.
Et la peinture elle-même se fait "bavarde". C'est plus problématique,
et le texte sur le solécisme (LH. 14) en évoque les
limites. Mais le tableau déjà évoqué(26)
est "clair" de ce point de vue.
Son titre(27), qui associe justement
théâtre et peinture autour d'un authentique simulacre, donne
au dessin sa multiplicité de niveaux, car même sans la mention
des acteurs de théâtre, le dessin serait strictement semblable,
(quant à la forme du contenu, comme sur le plan de l'expression),
évoquant la même scène, avec le même modèle
puisque tous les tableaux "représentent" le même corps (le
corps sexuel de Denise, corps textuel-dessiné de Roberte, Diane,
Valentine) dans des "poses", dessinées par le même
corps
peignant nommé Tonnerre, Klossowski, voire Zucca, qui se prénommait
Pierre lui-aussi !
L'art serait donc la parade, solécisme absolu, qui préserve
et affiche, (comme Lucrèce le fait de sa vertu, selon Klossowski),
le souvenir résolument inéchangeable, même en rendant
scabreuse, aussi, l'activité de "trans-sémiotique" des arts,
à laquelle "l'artiste" semble se livrer ? Quand ça raconte,
ça peint aussi et inversement, mais il n'y a pas échange
:
les mots ne dessinent pas, et le dessin reste "posé": c'est une
scène,
pas un récit ! Mais, ce choix du dessin justement, au crayon, instrument
pour colorier et pour écrire, transforme le geste de l'écrivain
en geste de peintre, faux geste de peintre et faux geste d'écrivain.
Et le cinéaste filme des tableaux vivants théâtralisés
qui vaudront pour des scènes (vécues) comme pour des tableaux
(peints) !
Seulement, dans l'écriture, puisque l'oeuvre est d'abord écrite,
où trouver traces de cette esthétique du solécisme
? Sur le plan de l'expression, dans l'abondance des disjonctions, les jeux
sur les mots et les sons, (calembours, "rimes intérieures", syllepses)
; dans la trivialité du lexique et de la syntaxe souvent déroutante
(en particulier dans Le souffleur) ; dans le mélange des
tons (métaphysico-philosophique, méditatif, réflexif,
interrogatif, humoristique voire trivial).
On en trouve aussi trace dans la forme du contenu avec le mélange
des genres, (récits, dialogues, autobiographie, théâtre,
méditations) ou le dérangement des codes narratifs, (journal
de Roberte en désordre au début de La révocation,
l'ouverture en "fausse préface" de La vocation suspendue).
À ce stade de la réflexion, le "catalogue" ne saurait être
exhaustif, mais cela permet de voir la perspective sémiostylistique
se dessiner avec une justesse d'autant plus grande que la nature paradoxale
du signe selon Hjelmslev rejoint la nature paradoxale du simulacre
selon Klossowski. Il serait trop long de développer ce point qui
sera largement commenté par la suite et qui a déjà
inspiré nombre d'exégètes. On notera simplement que
pour Klossowski ce terme désigne d'abord et essentiellement les
statues des dieux païens :
"[...]à mesure qu'elle [la religion romaine] importait et adoptait
chez elle le culte des peuples voisins et surtout ceux des divinités
helléniques, les simulacres, les statues firent leur apparition,"
(OCMDR.55).
C'est le seul sens véritablement satisfaisant de simulacre car
il possède la double caractérisation d'être déterminé,
à la fois, à partir de modèles communs et antinomiques
: ("l'anthropée" comme statut de la statue, et "la mythologie" comme
constituant), et autour d'un objet commun : (la statue réalisée),
comme "figure", "semblance" de la divinité. On pourrait dire, en
se référant toujours aux "quatre fonctifs" de Hjelmslev :
l'anthropée comme forme du contenu et la mythologie comme substance
du contenu, et la statue-divinité en soi comme forme et substance
de l'expression : en effet la statue "s'exprime" à partir d'une
forme humaine et d'un contenu mythologique, et elle "représente",
sous "la forme humaine" la "substance d'un dieu". Elle sera donc, pour
toute une "imagination populaire", la divinité, et elle aura été
créée à partir de deux réalités distinctes
(une "visible" : forme humaine, et une "invisible" : mythologie ; entre
lesquelles elle assurera l'échange concrètement inéchangeable)(28).
La solidarité sémiotique du simulacre est assurée
"au minimum" par son double-caractère réversible et actantiel.
Un exemple du caractère réversible constitué par
le choix des dimensions des tableaux est clairement affirmé dans
le dialogue qui suit où Klossowski explique sa volonté de
poser ses personnages, exécutés "grandeur nature", dans un
intérieur, juste au niveau du sol(29)
:
Rémy Zaug . - Quand vous vous mettez le tableau représentant
des personnages grandeur nature debout dans une pièce au niveau
du sol sur lequel se tient le spectateur, le sol réel est une extension
du sol fictif et le sol fictif une extension du sol réel [...].
Où est la fiction, où est le réel ? Qu'est-ce que
la fiction, qu'est-ce que le réel ? Il y a osmose entre les deux.
Pierre Klossowski. - Ou échange. Les personnages communiquent
immédiatement avec la présence corporelle du spectateur.
Les grandes compositions religieuses, les peintures murales antiques grandeur
nature, ou du moins qui donnent cette impression, mettent le spectateur
au niveau de l'action des personnages en action. Le spectateur est dans
le même espace que les personnages."
Cette même idée soutient la réflexion suivante sur
l'artiste :
"Métamorphosé en singe, l'artiste vaut pour un singe contenant
un artiste ; l'un est l'analogue de la qualité de l'autre
; le singe dissimulant, de l'homme anéanti, l'intellect subsistant,
qu'il simule ; l'intellect se dissimulant sous l'instinct de l'animal,
qui est proprement l'art de simuler. [...] Or, le simulacre, qu'ils représentent
ici l'un par l'autre, agit de telle sorte que, l'artiste
dût-il n'avoir plus que les souvenirs d'un singe, ceux-ci témoigneront
toujours d'une érudition d'autant plus prodigieuse que c'est un
singe qui en fait si grand étalage." (Lettre à Michel
Butor, p.50-51.)
Le caractère actantiel apparaît dans le fait que le signe
unique : le nom de Roberte puisse s'inscrire dans des acteurs
aussi divers que Roberte, le Baphomet, la salutiste, etc. et des
arts
aussi divers que littérature, dessin, photographie, cinéma,
sculpture, tout en restant unique
actantiellement.
Tout le caractère sémiotique du simulacre que constitue
le récit érotique scabreux en art verbal (mais sans doute
Klossowski pourrait-il dire la même chose de son art du dessin),
est contenu dans cette affirmation :
" [...] l'épiderme de Roberte ne pourrait seulement pas frissonner
sans que ma syntaxe qui n'en est que l'envers, quand la conspiration du
silence prétend en être l'endroit, soit son caractère
exposable, sa promotion au rang d'article, son avènement mercantile..."
(Lois de l'hospitalité, Préface, 9).
Re-voilà posée cette énigme du signe unique, en étroite relation avec l'inéchangeable, que Klossowski "réalise" (au sens quasi cinématographique du mot) par la prostitution de Roberte, -(non seulement dans la fiction narrée, dessinée, photographiée et filmée, mais dans lamise sur le marché de l'art verbal et des arts plastiques, de cette "prostituée", toujours figurée par le corps sexuel de l'épouse de l'artiste qui "thématise" cette prostitution jusque dans cet art industriel de masse qu'est le cinéma)-, dont le corps sexuel-textuel, androgyne(30) est le simulacre de
" cette passion d'une mimésis antimimétique qui est bien la problématique fondamentale de toute praxis de l'art : cette quête de l'émotion partagée, impartageable et à partager quand même en suscitant un vertige absolu, sur et à cause de l'autre-soi-même "(31),
ce couple, "androgyne et prostitué", auteur-lecteur.
Avec cette affirmation on aborde la sémiostylistique de la réception.
IV - Pourquoi la sémiostylistique de la réception ? retour
Dans tous ses ouvrages, mais en particulier dans Approches de la
réception, Georges Molinié expose la théorie sémiostylistique
de cette approche de l'art verbal. Nous n'en exposerons pas, à ce
stade préliminaire, tous les éléments théoriques,
extrêmement cohérents, et, bien sûr, hypothétiques.
Mais l'hypothèse fondamentale en est le principe actantiel.
Ce principe est particulièrement opératoire avec pour
corollaire original une nouvelle approche du pacte scripturaire autour
de la notion de niveau , "préfondamental" à tout texte.
À ce niveau, Georges Molinié établit(32)
de manière, précisément actantielle, le statut
réversible
de la relation émetteurrécepteur : puisqu'on n'émet
jamais que pour un "marché de la réception", on peut affirmer
que la réception active l'émission selon un circuit continu
et réciproque où les instances : émetteur
ƒìSVW‹ÙD$3ÿ…À‰|$ ‰|$‰{„ et
récepteur
ƒìSVW‹ÙD$3ÿ…À‰|$ ‰|$‰{„ sont
en permanence réversibles en regard d'une jouissance à
réception qu'on retiendra pour seul critère de valeur
d'un texte, (et, plus largement, de toute "oeuvre d'art").
Il suffit de se référer aux thématisations de l'oeuvre Klossowskienne, en particulier aux jeux constants sur la prostitution et le solécisme, (qu'on a déjà signalés p. 9 et p. 13), comme à son recours constant à la disjonction(33), pour être persuadé qu'on a bien à faire, dans cette oeuvre, à une sémiostylistique de la réversibilité. Et si l'on se réfère aux entretiens entre Rémy Zaug et Pierre Klossowski rapportés dans Simulacra, et en particulier à celui déjà cité page 17, on peut constater que cette notion est aussi fortement théorisée par l'auteur de Roberte, et la démarche trans-sémiotique, évoquée pages 9 à 13 relève d'une même posture artistique. Mais les deux citations de La lettre à Michel Butor, déjà rapportées page 11, vont encore plus nettement dans le sens-même de la position de Georges Molinié en ce qu'elles fondent sur une véritable théorie de la réversibilité à réception du couple auteur-lecteur, certes envisagé actorialement, le paradoxe de la réception d'un corps textuel, échangeable actorialement tout en conciliant l'inéchangeable actantiel :
"Sous d'autres conditions ce que je tenais à dire ou à montrer n'eût pas pris nécessairement la forme de l'écrit ou du dessin : je cherchais seulement à provoquer des circonstances où mes émotions seraient partagées par un nouvel entourage. Si peu que cela!... Confiant dans les moyens d'une rhétorique conventionnelle, les estimant les mieux appropriés à donner corps à cela même que ces conventions excluent comme de l'insolite, je ne faisais que rendre plus obscur ce que je pensais dire de la façon la plus claire, quitte à donner à mon propos une apparence de futilité" (LB.37-38)
et
Mais n'importe quel "créateur" est soucieux de se faire comprendre.
Toutefois il s'en remet ici à des normes convenues de penser, de
juger et de sentir. Mais justement ce qu'il divulgue a son centre de
gravité dans l'inéchangeable, qui est "sans prix" qui
n'a pas "cours", donc pour le redire une fois de plus, dans l'idiosyncrasique
autorité de son expérience. Inéchangeable, elle ne
requiert pas la divulgation à titre d'échange possible, mais
une équivalence pour l'équilibre de l'artiste, soit dans
l'art, le simulacre : lequel dissimule le secret de l'inéchangeable
en simulant le sens commun pour s'assimiler autrui. [...] L'inéchangeable
est le souvenir obscur d'un événement. L'événement
qui se produit en tel lieu, à tel moment, se confond avec le lieu.
Révolu, il ne se répète que sous la forme du lieu
qui l'évoque. Mais c'est là son génie dont la physionomie
est celle de l'inéchangeable" (LB.44-45),
Ce concept apparaît totalement assumé dans cette autre
citation déjà faite de la même
Lettre à Michel
Butor :
"Métamorphosé en singe, l'artiste vaut pour un singe contenant un artiste ; l'un est l'analogue de la qualité de l'autre ; le singe dissimulant, de l'homme anéanti, l'intellect subsistant, qu'il simule ; l'intellect se dissimulant sous l'instinct de l'animal, qui est proprement l'art de simuler. [...]
Or, le simulacre, qu'ils représentent ici l'un par l'autre, agit de telle sorte que, l'artiste dût-il n'avoir plus que les souvenirs d'un singe, ceux-ci témoigneront toujours d'une érudition d'autant plus prodigieuse que c'est un singe qui en fait si grand étalage." (Lettre à Michel Butor, p.50-51.)
Nous nous expliquerons longuement sur ce point. Mais poursuivons notre
première approche de la sémiostylistique actantielle de la
réception en intégrant ce nouveau concept de
corps textuel,
aux aspects encore restés obscurs de notre définition initiale,
ceux de jouissance à réception et d'extension à
toute oeuvre d'art de la pertinence de la théorie.
C'est surtout pendant les séminaires (non publiés) tenus
en Sorbonne entre 1992 et 1996 que Georges Molinié a développé
ces notions, en même temps que sa théorie se déplaçait
de l'étude du littéraire au littérarisable
d'une part, et de l'objet d'art verbal à tout objet d'art. Au cours
de cette étude, on fera souvent appel aux ouvertures que ces approches
proposent. Mais pour définir le corps textuel disons qu'il
est considéré comme le simulacre (réversible)
évidemment du corps sexuel, et que le vertige à
réception de toute oeuvre d'art est à évaluer,
(au sens fort du mot valeur) à l'aune du vertige sexuel.
De telles notions sont évidemment thématisées dans
l'oeuvre de Klossowski. On l'a dit d'emblée (page 9). Mais, elles
sont aussi théorisées entre autres par la fameuse phrase
de la préface des Lois de l'hospitalité :
" [...] l'épiderme de Roberte ne pourrait seulement pas frissonner
sans que ma syntaxe qui n'en est que l'envers, quand la conspiration du
silence prétend en être l'endroit, soit son caractère
exposable, sa promotion au rang d'article, son avènement mercantile..."
(Lois de l'hospitalité, Préface, 9).
Et, pour ce qui est de la relation entre simulacre, corps sexuel,
corps textuel, notions- clés de cette théorie, il suffit
de lire le petit ouvrage : Origines cultuelles et mythiques d'un certain
comportement des dames romaines, en particulier la citation qui suit
:
"l'attrait du vertige réside dans l'acte sexuel et le dépasse
infiniment jusqu'à prendre les formes de la divinité"(34),
pour s'apercevoir que l'aune du vertige sexuel est aussi la clef de toute cette réflexion.
Une telle définition met en place le véritable enjeu de
la thématisation du sexuel, scabreux ou non, dans l'oeuvre d'art.
Elle n'en explique ni les composantes, ni l'herméneutique; et reste
discutable, encore que le système de démonstration klossowskien,
comme celui de Georges Molinié, soit extrêmement cohérent
; on essayera de le montrer. Mais, commençons par observer que cette
affirmation, outre qu'elle établit une corrélation entre
le vertige sexuel et le vertige religieux, (que l'ouvrage glose précisément),
instaure, de surcroît, une autre corrélation avec "la jouissance"
de la "production d'Art", par le biais d'une réflexion sur
le "simulacre".
Ce terme est d'abord considéré au sens propre de "statue
de la divinité", représentée le plus souvent en "posture
sexuelle", simplement du fait-même que la statue sexualise l'entité
divine d'abord asexuée, mais aussi parce que la statuaire romaine
"fixe" souvent des scènes sexuellement scabreuses. Il désigne
ensuite les formes théâtrales des jeux où le
corps sexuel de la femme, comédienne ou hétaïre, devient
le corps de la déesse, dans le cadre particulier de la prostitution
sacrée, à laquelle même les matrones participent le
plus souvent en "réceptrices", mais parfois en "émettrices".
D'autres essais, Le bain de Diane, ou La Ressemblance, attestent
aussi de ce "simulacre" du vertige sexuel, dans la réception d'art.(35)
Mais, précisément par le biais de ce simulacre sexuel
/ textuel, désormais étendu à
sexuel / tout
art, la notion de prostitution qu'on a vue établie thématiquement
et théoriquement au coeur de l'oeuvre de Klossowski, est aussi installée
au coeur de la théorie de Georges Molinié, parce qu'elle
permet de proposer comme axes d'une "praxis sociale d'art" la dichotomieinéchangeable
et pourtant confondue, (toujours la réversibilité soléciste
fondamentale), de lajouissance et de la déréliction,
et, le concept de stéréotype industriel ou marchand.
Du couple jouissance-déréliction, dans La Révocationde
l'Édit de Nantes, les journaux de Roberte et d'Octave, rendent
le plus grand compte, jusque dans le questionnement sur la possibilité
d'un
art d'après Auschwitz, (on verra avec quelle ambiguïté)(36),
fondamental dans l'axiologie définie par Georges Molinié.
Les essais déjà cités théorisent également
ces approches.
De la question du stéréotype industriel, La monnaie
vivante traite "essentiellement" tout comme les réflexions d'Octave,
dans La révocation, que nous venons d'évoquer. Et,
surtout, toute la pensée théorique de Klossowski sur son
oeuvre plastique se fonde sur le paradoxe d'un art dont l'inéchangeable
repose précisément sur le traitement stéréotypé
de "topoï sexuels" ! Il suffit de se référer aux citations
de la Lettre à Butor, déjà rapportées,
(bien qu'elles ne portent que sur la création littéraire),
et à l'ensemble des entretiens recueillis dans le catalogue édité
par le Centre National des Arts Plastiques, Simulacra, et La
ressemblance !
*
* *
On comprend sans doute mieux, à la lecture de cette brève présentation qu'une théorie qui entretient des affinités aussi vertigineuses avec son "objet d'étude", qu'elle semble élaborée à sa ressemblance, ne pouvait que séduire... On espère que la thèse ainsi élaborée sera, à la fois, reçue comme pertinente, - (elle serait rhétoriquement acceptable si elle séduisait et convainquait), - et ressentie avec jouissance, - (elle serait, alors, elle aussi, en affinité totale avec l'oeuvre qu'elle prétend gloser et la théorie choisie pour ce faire).
1. Approches de la réception, Georges Molinié & Alain Viala, Perspectives littéraires, PUF, Paris, 1993.
Pour l'exposé de la méthode en Sémiostylistique actantielle, p. 7-61 ; en particulier, chapitre VII, (47-61).
2. Louis Hjelmslev, (1899-1965), Omkring spogteoriens grundlaeggelse, Akademisk Forlag, Copenhague, 1943, (traduction française par Una Canger & Annick Wewer : Prolégomènes à une théorie du langage, Éditions de Minuit, Paris, 1984, Chapitre 13, "Expression et contenu", p. 65-79.)
3. La vocation suspendue, Gallimard, Paris, 1950.
4. Les lois de l'hospitalité (La révocation de l'Édit de Nantes, Roberte ce soir, Le souffleur), édition définitive, augmentée d'une préface et d'une postface, collection "Le Chemin", Gallimard, Paris, 1965.
5. La révocation de l'Édit de Nantes, Éditions de Minuit, Paris, 1959.
6. Roberte ce soir, Éditions de Minuit, Paris, 1954.
7. Le souffleur, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1960.
8. Le Baphomet, Le Mercure de France, 1965 ; édition corrigée, Gallimard, "L'imaginaire", Paris, 1987.
9. L'adolescent immortel, collection "Entre 4 yeux", Éditions Lettres Vives, Paris, 1994.
10. Les derniers travaux de Gulliver, suivi de Sade et Fourrier, Fata Morgana, Montpellier, 1974.
11. Roberte et Gulliver, suivi de Fragments d'une lettre à Michel Butor, Fata Morgana, Montpellier, 1987.
12. La Monnaie vivante, illustré de soixante-dix-sept planches photographiques de Pierre Zucca, Éditions Éric Losfeld, Paris, 1971. Réédition non illustrée, Éditions Joëlle Losfeld, Paris, 1994.
13. Roberte, d'après la révocation de l'Édit de Nantes (et Roberte ce soir, même si le générique ne mentionne que l'autre oeuvre), adaptation de Pierre Klossowski et Pierre Zucca, produit par Filmoblic, Paris, 1978. Une cassette du film est visible à la Vidéothèque de Paris, Nouveau Forum des Halles, 2 Grande Galerie, Porte St Eustache, 75001.
14. On pourrait en effet ajouter à ces oeuvres "plastiques" celles dont il est acteur, comme le célèbre Au hasard Balthazar (1963) de Bresson. Peut-être y ferons-nous référence, quand nous réfléchirons sur la notion d'interprète, sémiotiquement au centre d'une oeuvre dont l'inéchangeable passe aussi par la variété "d'expression", mais nous examinerons à coup sûr, le court-métrage d'Alain Fleischer, Portrait de l'artiste en souffleur, (1982), dans lequel Klossowski lit son oeuvre Le Souffleur, en joue des scènes (elles-mêmes scènes jouées dans la diègèse romanesque), et assiste avec Denise-Roberte à la projection des rushes de ce qu'il vient de jouer pour le film de Fleischer. Ajoutons à cette filmographie, la vidéo d'Alain Fleischer réalisée pour l'émission Un siècle d'écrivain, (France 3, 06 / 11 / 1997).
15. La vocation suspendue, (1976-1978), L'hypothèse du tableau volé (1977-1978).
16. Roberte au Cinéma, avril 1978. Outre son scénario, ce numéro contient de nombreuses photos du film, un premier scénario écrit par Klossowski en 1966, un découpage précis de la scène des barres parallèles, pour ce film inédit, et nombre d'articles de Zucca, Klossowski et d'autres, auxquels on fera souvent référence.
17. La ressemblance, Ryôan-ji, Marseille, 1984.
18. Le bain de Diane, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1956 ; réédition, Gallimard, Paris, 1980.
19. Origines cultuelles et mythiques d'un certain comportement des Dames romaines, Fata Morgana, Montpellier, 1986.
20. Crayons de couleurs, 1954, 152 X 107,5 cm. Collection particulière. Turin.
Autre exemple de la "théâtralité" présente dans l'oeuvre de Klossowski que ce titre "théâtral" : "[...]dans le rôle [...]" Peut-être même y-a-t'il, en amont de B et traversant le tout, un niveau "d'imagination de théâtralisation" et un niveau de "modèle" d'art verbal ou plastique, Roberte, signe unique qui dit l'inéchangeable de tous ces échanges.
22. "On a donc, selon une imaginaire, voire fantasmatique, remontée du plus profond au plus manifeste : la substance du contenu, la forme du contenu, la forme de l'expression, la substance de l'expression. Grossièrement et sous réserve de précisions futures, on trouve, dans la substance du contenu, les idées et l'anecdote ; dans la forme du contenu, les sélections génériques (une tragédie ou un poème en prose, les figures macrostructurales de second niveau, les lieux ; dans la forme de l'expression, l'ensemble des caractérisèmes, les figures, les faits relevant de l'élocution et de la diction, au sens traditionnel de ces termes, c'est à dire le style ; dans la substance de l'expression, le son et le graphisme. Il ne faut pas se faire trop d'illusion sur l'absolu de cette quadripartition et de cette répartition. Des incertitudes demeurent, par exemple sur l'appartenance de l'anecdote à la substance du contenu." (opus cité, p.17-18).
23. Le rapport entre l'inéchangeable et le souvenir est développé dès la préface de Les lois de l'hospitalité (7), et dans lettre à Michel Butor (46): "l'inéchangeable est le souvenir obscur d'un événement. L'événement qui se produit en tel lieu, à tel moment se confond avec le lieu. Révolu, il ne se répète que sous la forme du lieu qui l'évoque. Mais c'est là son génie dont la physionomie est celle de l'inéchangeable."
24. Il faut bien évidemment entendre pseudo en syllepse, et lire, indifféremment, et en même temps : le pseudo-Tonnerre, (le prétendu Tonnerre, celui qui se fait passer pour Tonnerre, le faux Tonnerre) et le pseudo "Tonnerre", (le pseudonyme, Tonnerre, pseudonyme de Vittorio ou de Klossowski lui-même).
25. Qu'on ne pense pas que je confonde auteur et narrateur. C'est Klossowski qui laisse ouverte la confusion entre les deux "émetteurs". La vocation suspendue brouille le rapport auteur / narrateur / personnage : le passage n'est pas "technique", déterminé par les lois de la narratologie, ou par un distinguo récit / discours : il est celui-là même entre trivialité et signe unique, entre souvenir et inéchangeable que "simulent" les tableaux de Tonnerre
26. note 20, supra. M. de Max et Mlle Glissant dans Diane et Actéon.
27. Le titre d'un tableau pose à lui seul d'énormes problèmes de solidarité sémiotique sur lesquels on reviendra bien sûr. L'analyse faite page 10 en montre quelques-uns, qui tiennent précisément à ce que la substance du contenu se détermine à partir d'une forme d'expression allogène. Mais d'abord qu'on ne s'étonne pas de nous voir utiliser pour l'analyse des tableaux la quadripartition de Hjelmslev. C'est là un de ses intérêts sémiotiques d'être utilisables pour tous les signes. Elle constitue ainsi un outil essentiel pour un travail qui sera forcément "trans-sémiotique".
28. En fait cet échange n'a lieu que si le "démon" est présent, ce tiers incarné par la "voix du pur esprit" dans Les lois de l'hospitalité. À ce stade de l'exposé nous ne tiendrons pas compte de ce fait, non qu'il soit négligeable, mais parce qu'on n'en est pas encore à considérer le caractère "magique" de la "complicité" par le simulacre, caractère mis en évidence aussi par Nietzsche, Bataille, et d'une certaine manière par la sémiostylisque de la réception.
29. Simulacra, entretiens entre Rémy Zaug et Pierre Klossowski, catalogue de l'exposition, Kunsthalle Bern, (20 juin -2 août 1981), édition bilingue allemand-français, illustré de trente-quatre dessins et de deux photographies des tableaux vivants du film Roberte, p. 116-117.
30. Cet autre motif-clef de l'inéchangeable absolu est largement développé dans Le Baphomet, le plus Nietzschéen des textes de fiction, celui qui pousse le plus loin le motif du suppôt, autre simulacre du tableau vivant, le corps habité où se posent concrètement les questions de l'échange des âmes. Mais cette figure de l'androgynie habite aussi Diane et Roberte de façon très précise : Le lieu le plus féminin de leur corps sexuel, le clitoris, est désigné et vu comme un dragon (Roberte & Gulliver), ou comme une énigme : le quid est (Les lois de l'hospitalités). Dans ce même texte, p. 39, on lit ceci : "Ce quelque chose d'autre que j'entends ici, est une aspiration sororale, sans doute virile à l'intérieur de la féminité ;".
31. Définition empruntée à Georges Molinié, de qui je reprends la théorie du corps sexuel / corps textuel et les implications sur l'androgynie et la prostitution qui en découlent, dans la mesure où, justement, elle éclaire avec pertinence l'esthétique de Klossowski qui use, précisément, des mêmes simulacres.
32. Approches de la réception, p.57 sq. ; en particulier : "C'est enfin par rapport au concept de récepteur qu'on est conduit à analyser le dernier outil méthodologique utilisé en sémiostylistique, celui du pacte scripturaire. [...] Le pacte scripturaire est une entité profondément culturelle : elle est donc variable. C'est l'actant récepteur qui le mesure. [...] Le pacte scripturaire fonctionne comme un code actantiel, admis et attendu par le lecteur.", (p. 59).
33. Sur ce point on peut se référer aux articles de Catherine Backès-Clément, Incarnation fantasmatique, et Gilles Deleuze et Félix Guattari, La synthèse disjonctive, parus dans la revue L'arc, N° 43, p.25-36 & 63-71.
34. OCMDR p 14. On peut aussi remarquer que cette citation, comme la dernière citée (p.20) de LB "Métamorphosé en singe", dit la "théâtralité" comme mode de "partage de l'inéchangeable" : "prendre les formes de la divinité".
35. On précisera, dans le corps de l'étude les références qui nous autorisent à cette analyse, ici très succincte.
36. Voir en particulier, pour Roberte, p 40-45 (les barres parallèles), et, sur "l'après-Auschwitz", p. 17-20, et 88-103 ; pour Octave, p. 63-64 (débauche et innocence), et sur "l'après-Auschwitz", p.73-77.